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l’art d’enseigner même les plus petites choses est un grand art, très difficile, qui s’acquiert très lentement, que tout le monde n’est pas à même d’acquérir, et qui suppose dans la maîtresse de bien autres connaissances que celles qu’elle est chargée de transmettre. S’il n’était question que d’enseigner tout juste ce qu’on sait, nous n’aurions besoin ni de cours normaux, ni d’écoles normales. Nous n’aurions pas besoin non plus de commissions d’examen pour, les institutrices, car enfin, s’il suffit de savoir lire et écrire, on ne voit pas qu’il soit très nécessaire d’assembler cinq personnes en cérémonie pour s’assurer de ce qui en est ; tout le village saurait à quoi s’en tenir au bout de huit jours sur une institutrice qui tiendrait son livre à l’envers pendant les offices. Or il faut bien le dire, ce n’est pas sans motif que la loi actuelle dispense les religieuses de subir les examens et de produire un diplôme[1] ; la lettre d’obédience leur suffit, c’est-à-dire leur habit, car au fond la lettre d’obédience n’est que cela : c’est l’ordre donné à une religieuse par sa supérieure d’aller tenir une école. Certaines maisons religieuses ont joui de cette exemption sous la restauration ; on la leur conférait dans l’ordonnance même qui les autorisait comme congrégations religieuses ou comme associations charitables. Toutes ne l’obtenaient pas ; on pouvait donc croire que le ministre ne l’accordait qu’aux plus capables, et cela ressemblait quelque peu à une garantie. En 1828, il fut déclaré que le recteur délivrerait un brevet à tout membre d’association enseignante autorisée sur le vu de la lettre d’obédience, sans examen : exemption redoutable, car, dès qu’on réfléchit, on s’en demande le motif. On l’abolit en 1833, on soumit tout le monde au droit commun, et en vérité cette règle paraît d’une justice élémentaire : ou personne, ou tout le monde. Si l’on disait : Les prêtres, les élèves des écoles spéciales déclarés admissibles dans les services publics sont dispensés de l’examen, à la bonne heure, cela se comprendrait, parce qu’un prêtre est censé en savoir plus long qu’un instituteur de village ; mais une simple religieuse ? On ne passe pas d’examen avant de prononcer ses vœux dans un couvent. Pourquoi, si l’on se sent capable, se refuser aux examens ? Est-ce par orgueil ? Elles n’y pensent guère. Par modestie ? Mais les examens des filles se font à huis clos et seulement en présence des concurrentes[2]. Il est assez difficile de déterminer exactement la

  1. Loi du 15 mars 1850, art. 49. « Les lettres d’obédience tiendront lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses vouées à renseignement et reconnues par l’état. »
  2. Loi du 15 mars, art. 40, § 2. « L’examen des institutrices n’aura pas lieu publiquement. »