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faut-il pas que ces imaginations étranges, qui ne s’appuient sur aucune réalité, sur aucune cosmogonie scientifique, aient une source commune ? Et où peut-on la chercher, si ce n’est dans les régions où le hasard amena Pythagore après son séjour en Égypte ?

Voici une autre preuve bien remarquable encore citée par M. Cantor pour montrer la communauté d’origine de la science grecque et de la science chinoise. Les nombres 3, 4, 5 jouaient dans la doctrine pythagoricienne un rôle très important : ils avaient servi au maître à découvrir la propriété des triangles rectangles. Si dans un triangle de cette sorte les deux côtés de l’angle droit sont égaux à 3 et à 4, la longueur de l’hypothénuse est exactement 5. Le triangle de Pythagore demeura toujours en honneur parmi les architectes de l’antiquité, et Vitruve en parle comme fournissant une méthode très simple et très expéditive pour construire un angle droit. La critique moderne a retrouvé en Chine ce triangle fameux. L’empereur Tchaou-kong, qui vivait vers 1100 avant Jésus-Christ, aimait particulièrement les mathématiques. Il y excellait lui-même, car on possède encore de lui un ouvrage sur ces matières, écrit sous la forme d’un dialogue entre Tchaou-kong et un savant nommé Schang-kaou. L’ouvrage comprend plusieurs chapitres, et le premier est une introduction qui résume à peu près tout le reste. Le sinologue Biernatzki a traduit ce premier chapitre en entier ; en voici quelques paragraphes :


« Tchaou-kong dit un jour à Schang-kaou : — J’ai appris, seigneur, que tu es très expert dans les nombres. Je voudrais donc te demander comment l’ancien Fo-hi a fixé les degrés sur la sphère céleste. Il n’y a point d’échelons avec lesquels on puisse gravir le ciel : le fil à plomb et la mesure de la grandeur de la terre sont des moyens qui ne peuvent s’appliquer au ciel. Je voudrais donc savoir comment on a fixé ces nombres.

« Schang-kaou répondit : — L’art de compter se ramène au cercle et au carré.

« Si l’on analyse un angle droit, la ligne qui joint les deux extrémités de la base et de la hauteur est égale à cinq, quand l’une est égale à trois et l’autre à quatre.

« Tchaou-kong s’écria : — A la vérité, voilà qui est merveilleux ! »


Rêveries fantastiques sur les rapports des nombres et de l’univers, théorèmes rigoureux de la géométrie, voilà donc ce que la critique retrouve, avec des caractères identiques, dans la doctrine pythagoricienne de la Grèce et dans les livres de la Chine ? Ne faut-il pas que ces idées communes soient issues de quelque point intermédiaire entre des régions si éloignées ? Et n’est-on pas autorisé à chercher dans l’antique Babylonie le berceau commun de la science hellénique et de celle du grand empire de l’Asie ?