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D’autres questions se rattachent à ces rapports scientifiques de la Grèce et de l’Asie, la question par exemple de l’origine des chiffres modernes. L’école pythagoricienne employait, pour exprimer les nombres, d’autres signes que les lettres, comme faisaient les Grecs : hors de l’école, on ne comprenait pas le sens figuratif de ces symboles, et dans l’école même on finit par le perdre. Quelle était l’origine de ces signes étranges, d’où sont issus nos chiffres modernes, bien improprement nommés chiffres arabes ? C’est là un des problèmes les plus difficiles de l’histoire des mathématiques. L’analyse de tous les travaux publiés depuis la renaissance jusqu’à nos jours sur cette question presque insoluble serait à elle seule un livre considérable. La numération monumentale de l’Assyrie ressemblait beaucoup en principe à celle des Égyptiens, en ce sens que les unités de divers ordres y étaient répétées, sans qu’il y eût de signes spéciaux pour exprimer 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9. Les unités décimales des divers ordres étaient pourtant mieux séparées à Ninive et à Babylone que sur les monumens égyptiens ; on distinguait très nettement les mille, les dizaines de mille et les centaines de mille, bien qu’on eût besoin d’un signe multiplicateur pour représenter ces dernières. Toutefois, à côté de la numération monumentale, la plus ancienne et la plus vénérée (aujourd’hui encore ne grave-t-on point les dates sur beaucoup de monumens en caractères romains ?), l’Égypte avait un autre système de numération qui présentait des signes spéciaux pour les neuf premiers nombres. On ne trouve pas seulement ce système dans l’écriture hiératique et démotique de la vallée du Nil ; il existe aussi en Chine, chez les Indiens de race aryenne, et des besoins semblables l’ont fait naître chez les Azteks en Amérique. Où Pythagore prit-il les signes qui sont devenus nos chiffres modernes ? Ces signes dérivent très probablement des chiffres dévanagaris ou de l’écriture des dieux, comme on appelait l’écriture sanscrite : on a essayé de rattacher ces chiffres dévanagaris eux-mêmes aux chiffres singhalais, mais l’origine véritable en reste un mystère. L’arithmétique des savans babyloniens était trop avancée pour qu’ils n’aient pas eu une numération cursive différente de la numération cunéiforme, visiblement incommode et compliquée. Est-ce à Babylone ou en Égypte que Pythagore apprit à connaître les signes dont il se servit pour représenter les nombres depuis 1 jusqu’à 10 ? Nous ne saurions vraiment répondre à cette question ; mais la critique a beaucoup plus d’élémens pour résoudre le problème des origines de nos signes numériques actuels. Ceux-ci sont-ils d’origine arabe, comme on l’a cru longtemps, ou grecque et pythagoricienne, comme le prétendait déjà Vossius au XVIIe siècle, et comme le pensent au jourd’hui plusieurs érudits, notamment M. Chasles, le savant géomètre,