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M. Vincent et M. Cantor ? La discussion sur ce point dure depuis deux siècles, et le nœud du problème est l’existence de certains signes numériques nommés apices, que l’on trouve dans les manuscrits du célèbre ouvrage de Boëce sur la géométrie, signes qui, au dire de l’écrivain, auraient été usités dans l’école de Pythagore. Les apices ressemblent beaucoup à nos chiffres : sont-ils les véritables signes pythagoriciens ou des signes arabes que les copistes des manuscrits y auraient substitués ? Malgré l’intervention de bien des autorités scientifiques, le débat reste ouvert.

Quoi qu’il en soit, on ne peut douter que Pythagore n’employât dans ses calculs arithmétiques des signes spéciaux pour les nombres, depuis un jusqu’à neuf, et n’eût ainsi été conduit, en représentant les unités des divers ordres par les mêmes symboles, à leur donner une valeur de position et à créer une arithmétique toute semblable à la nôtre. Cette grande révolution ne porta malheureusement que des fruits tardifs : les signes pythagoriciens restèrent enfouis dans les secrets de l’école, la Grèce continua d’employer des lettres pour représenter les chiffres, et resta asservie à sa numération stérile. Les Romains employèrent toujours le même système, et sous leur long empire l’histoire des sciences nous fait assister à un véritable recul de l’esprit humain. Le génie romain répugnait aux mathématiques aussi bien qu’à la philosophie : les arts du gouvernement et de la guerre étaient la seule préoccupation des fiers conquérans de la terre. La philosophie de Rome n’était qu’un éclectisme sans grandeur ni originalité ; son astronomie était purement physique, sa géométrie resta un simple arpentage : la théorie des nombres, poussée si loin par les écoles pythagoricienne et platonicienne, y était tout à fait négligée. Boëce chercha en Grèce toutes ses inspirations ; il fréquenta les écoles d’Athènes ; il étudia les œuvres d’Euclide, de Platon, d’Archytas de Tarente, qui était un pythagoricien, et qui avait lui-même initié Platon à la doctrine de son maître. Boëce fut avant tout un compilateur et un commentateur ; il employa le mot de quadrivium en souvenir de l’école pythagoricienne, qui classait les sciences en quatre branches : l’arithmétique, la musique, la géométrie, l’astronomie. Il ne prit rien à des sources arabes, et dans son œuvre originale les apices furent bien certainement les signes pythagoriciens.

Nous avons laissé Pythagore à Babylone. Il y resta pendant douze ans prisonnier, mais sans doute jouissant d’une demi-liberté qui lui permit de se livrer à ses recherches et à ses études favorites. Il recouvra la liberté en 513, dans des circonstances assez extraordinaires. À Cambyse avait succédé Darius après le court interrègne du faux Smerdis. À la cour de Darius vivait un médecin de Crotone,