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puis à M. Dupin de Francueil, un des plus charmans esprits de l’ancienne société française, n’est autre que la grand’mère de l’écrivain illustre à qui les lettres françaises doivent tout un monde de poétiques figures ? L’auteur d’Indiana et de Jean de la Roche, de Valentine et du Marquis de Villemer, le romancier de génie qui s’est tant de fois renouvelé depuis trente ans, l’inventeur infatigable qui à mis en scène des inspirations si diverses, passions enflammées, théories hasardeuses, vertus généreuses et noblement humaines, n’eût pas été renié par son arrière grand-père. À ce fonds d’ardeur et de cordialité, le héros eût reconnu sa race.

Il suffit d’indiquer ce rapprochement sans insister davantage. George Sand a marqué elle-même les liens qui la rattachent à son illustre aïeul, et elle suivait en cela l’exemple de son père, Maurice Du Pin, qui, sous les drapeaux de la république, à côté de La Tour d’Auvergne, premier grenadier de France, invoqua plus d’une fois l’héroïque souvenir du maréchal de Saxe[1]. Un écrivain physiologiste, comme nous en possédons aujourd’hui, trouverait sans doute l’occasion excellente pour montrer ce que les descendans de Maurice de Saxe doivent à la fatalité du sang ; pour nous, qui croyons avant tout à la liberté humaine, nous qui pensons que chacun est l’artisan de sa destinée et responsable des dons qu’il a reçus, nous aimons mieux nous en tenir à une indication rapide. Dans ce rapprochement que notre récit nous impose, nous ne prétendons pas, à Dieu ne plaise ! juger en passant le grand écrivain qui a su communiquer à la France du XIXe siècle, tour à tour surprise et ravie, les émotions les plus diverses. Le sujet de notre étude est simplement Maurice de Saxe, et nous y retournons en toute liberté, sans nulle préoccupation étrangère[2].

  1. Voyez les touchantes lettres de M. Du Pin citées par George Sand dans l’ouvrage qu’elle a intitulé Histoire de ma Vie.
  2. Mme Sand ignore sans doute que sa grand’mère, l’aimable et digne Aurore de Saxe, avait voulu la placer dès sa naissance sous le patronage de sa royale famille ; Aurore avait elle-même quelque chose de la haute aristocratie germanique ; sa petite-fille nous la dépeint « blanche, blonde, grave, calme et digne dans ses manières, une véritable Saxonne de noble race, aux grands à les pleins d’aisance et de bonté protectrice. » (Histoire de ma Vie, par George Sand, quatrième série, page 201.) Or, en 1807, son fils Maurice Du Pin avait été nommé par l’électeur de Saxe chevalier, de l’ordre de Saint-Henri ; mais il n’avait pas encore reçu les insignes de cette dignité quand un affreux accident l’emporta dans la fleur des années. On sait que le brave officier, récemment arrivé de la guerre d’Espagne et heureux de goûter en famille un repos chèrement acheté, mourut d’une chute de cheval, aux environs de Nohant, le 17 septembre 1808. L’année suivante, le roi de Saxe Frédéric-Auguste Ier étant venu passer, quelques semaines à Paris, Mme Aurore Du Pin lui adressa cette lettre :
    « Sire,
    « Depuis votre arrivée à Paris, j’ai tenté et épuisé tous les moyens d’obtenir de votre majesté une faveur qui j’espérais ne m’être pas refusée. Vous eûtes la bonté, il y a dix-huit mois, d’admettre au nombre des chevaliers de Saint-Henri mon fils Maurice Du Pin, petit-fils du maréchal de Saxe, aide-de-camp du roi de Naples. Son service, son absence et l’affreux malheur qui me l’a enlevé ont empêché qu’il ne reçût sa croix des mains de M. le baron de Senft, votre ministre à Paris. Mon fils n’a laissé qu’une fille unique à qui je désire conserver la mémoire de cette faveur ; je veux en orner son écusson, en décorer le tombeau de mon enfant. Je n’ai aucune preuve à montrer, aucun droit apparent de son admission dans cet ordre ; une permission, un mot écrit par le ministre de votre majesté est la grâce que je sollicite. Les bontés constantes dont la maison de Saxe m’a honorée depuis ma naissance m’ont donné la confiance, sire, de vous importuner de mes vœux actuels. Je n’ose manifester celui de me présenter devant votre majesté.
    « J’ai l’honneur d’être avec un profond respect, de votre majesté la très humble et très obéissante servante,
    « Aurore DU PIN, fille du maréchal de Saxe. »
    La fille unique a qui l’on désirait transmettre ce souvenir quasi royal, et qui balbutiait encore à cette date, devait porter un jour le nom de George Sand. Cette lettre, qui prouve les rapports d’Aurore de Saxe avec la royale maison de son père, s’est conservée aux archives de Dresde. Elle a été publiée par M. de Weber dans le précieux recueil intitulé Ans vier Jahrhunderten ; Leipzig 1858, 2 vol. in-8o.