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avait reconnu ses privilèges, et depuis on les avait à peu près respectés. Or les états de Bretagne s’étaient imposé, dans la session de 1673, les plus lourds sacrifices, précisément pour être délivrés des impôts sur le papier timbré et le tabac. « On a révoqué tous les édits qui nous étrangloient, écrivit à ce sujet Mme de Sévigné ; mais savez-vous ce que nous donnons au roi pour témoigner notre reconnaissance ? 2,600,000 livres, et autant de don gratuit. C’est justement 5,200,000 livres. Que dites-vous de la petite somme ? Vous pouvez juger par là de la grâce qu’on nous a faite de nous ôter les édits. » En réalité, l’imposition ’était plus que doublée. Le duc de Chaulnes avait dit de son côté que la seule crainte de l’exécution des édits jetait la province dans la dernière confusion, et que l’effet produirait inévitablement de très grands désordres. Annonçant un jour à Colbert que les états venaient, malgré l’augmentation de 3 millions ; de faire chanter un Te Deum, il attribuait la satisfaction présente à la révocation des édits. « Vous n’en serez pas surpris, ajoutait-il, quand vous saurez avec combien de violences on les exécutoit. »

Lorsqu’à dix-huit mois de là ces impôts exécrés et rachetés si cher durent être rétablis, avec aggravation de la marque sur la vaisselle d’étain, ce fut dans la province une indignation générale, que la sédition, un moment victorieuse à Bordeaux, ne fit qu’accroître. On a vu que le duc de Chaulnes écrivait de Paris à Colbert (19 avril 1675) que rien ne remuait encore, mais que les têtes commençaient à s’échauffer. Il ignorait que, la veille même, à Rennes, un rassemblement considérable s’était porté chez le premier président, qui avait promis son intervention auprès du roi, pour obtenir l’abolition des édits. Prenant cette promesse au sérieux la foule envahit les bureaux de tabac et du timbre, les dévasta de fond en comble, lacéra les registres, au cri de « vive le roi sans édits ! » Cinq séditieux furent tués ou mortellement blessés par les buralistes ; mais l’effervescence de la multitude n’en fut pas calmée, et d’autres bureaux furent encore saccagés. Vers le soir, ivre, hors d’elle-même, elle parla de mettre le feu à la ville pour piller ; au milieu de la confusion qui s’ensuivrait, les maisons des riches et de quelques gens d’affaires.

Surprise un moment, l’autorité se mit bientôt en mesure de résister. En l’absence de son père, gouverneur de Rennes, le marquis de Coëtlogon fit appel à la noblesse et aux cinquantaine de quartier, sorte de milice bourgeoise. Sur son ordre, on ferma les portes, on chargea les rebelles, qui lâchèrent pied en laissant une trentaine des leurs sur le carreau. En rendant compte de ces événemens à la cour, le marquis de Coëtlogon essaya de dégager la