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ville de Rennes : il attribua les troubles à des gens sans aveu, à des misérables pour la plupart étrangers au pays, et à la canaille des faubourgs. Une seconde alerte, moins vive, eut lieu huit jours après ; le bruit, s’étant répandu que les commis du papier timbré professaient la religion réformée, la populace se donna rendez-vous à un temple des faubourgs et y mit le feu. Quand le gouverneur de la ville accourut avec la noblesse et les bourgeois, le temple était détruit. Cependant, loin de s’améliorer, la situation générale s’aggravait de jour en jour, et l’on redoutait de grande malheurs. Rappelé à Rennes, le duc de Chaulnes y fit son entrée officielle le 2 mai. Le lendemain, il apprenait que des troubles sérieux avaient éclaté à la fois sur divers points. A Nantes surtout, le désordre avait eu une gravité particulière. Une femme du peuple ayant été emprisonnée, les révoltés s’emparèrent de l’évêque, intervenu pour les calmer, et menacèrent de le mettre à mort si on ne leur rendait la femme arrêtée. L’auraient-ils osé ? Pour éviter ce malheur, le gouverneur de la ville céda et fut vivement blâmé. Quelques jours après, M. de Lavardin, escorté de troupes envoyées à la hâte, venait le remplacer. De son côté, le duc de Chaulnes eut l’ordre de faire décréter en plein parlement la levée des nouveaux impôts ; mais, abandonné par la noblesse et par la bourgeoisie, il put voir que le parlement lui-même ne le suivrait qu’à contre-cœur. Malgré les milices urbaines et la présence des troupes dans les centres de population, la révolte s’étendit à Guingamp, où trois émeutiers furent pendus, et à Châteaulin, où le lieutenant-général de la province fut repoussé par des milliers de paysans, De proche en proche, la sédition gagna les Montagnes-Noires, Carhaix, la Haute-Cornouaille, les pays de Poher et de Léon. Convaincus, d’après les bruits perfidement répandus, que, non content d’imposer le tabac et le papier timbré, le gouvernement élèverait le prix du sel, et taxerait le blé, les paysans ne connurent plus de frein, chassèrent tous les agens de l’autorité et furent, trois mois durant, les maîtres absolus du pays.

A Rennes même, malgré la présence du gouverneur, le rétablissement des édits déterminait une fermentation sourde. Se faisant illusion sur l’état des esprits, voyant d’ailleurs la province partout soulevée ou agitée, le duc de Chaulnes aurait voulu la parcourir en tous sens pour y ramener l’ordre ; mais le premier président d’Argouges et le marquis de Coëtlogon le suppliaient de rester. Pour les tranquilliser, il fit venir de Nantes trois compagnies composée, de cent cinquante hommes, qui entrèrent dans la ville, la mèche allumée par les deux bouts. Un des privilèges auxquels Rennes tenait le plus était l’exemption des garnisons royales. Quand après