Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/1024

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux abois avait eu le tort de mettre sur les mariages, les baptêmes et les enterremens. Il faut voir dans Saint-Simon et dans l’impassible Dangeau quels résultats produisirent ces impositions immorales. Elles eurent pour premier effet de décider les pauvres gens des villes et des campagnes à se passer de mariage et à baptiser eux-mêmes leurs enfans. Ce n’était pas le compte des traitans, qui réclamèrent contre ces réfractaires d’un nouveau genre. « Du cri public et des murmures, dit Saint-Simon, on passa à la sédition dans quelques lieux. On alla si loin à Cahors, qu’à peine deux bataillons qui y étoient purement empêcher les paysans armés de s’emparer de la ville, et qu’il y fallut envoyer des troupes destinées pour l’Espagne. » Même émotion dans le Quercy, où l’on eut grand-peine à dissiper les paysans armés et attroupés. « En Périgord, ajoute Saint-Simon, ils se soulevèrent tous, pillèrent les bureaux, se rendirent maîtres d’une petite ville et de quelques châteaux, et forcèrent quelques gentilshommes de se mettre à leur tête… » Les rebelles consentaient d’ailleurs à payer les tailles et la capitation, la dîme aux curés, la redevance aux seigneurs. Quant aux impôts sur les mariages, baptême et enterremens, ils ne voulaient pas en entendre parler. Avaient-ils tort ?

Il y a des limites que le pouvoir le plus despotique ne saurait dépasser. On en était arrivé là ; aussi les malencontreux édits durent-ils être retirés. Un autre contrôleur-général vint, Desmaretz, qui, au lieu de tendre encore la corde de l’impôt, demanda davantage au crédit. La misère était devenue telle, surtout à la fin de l’hiver et de l’affreuse disette de 1709, que les peuples n’avaient plus la force de se révolter. Ils souffraient sans bruit et mouraient décimés avant l’heure. Heureusement la guerre cessa, grâce à Villars. Les paysans valides n’allèrent plus aux armées, et les récoltes se rétablirent, quoique lentement. Des émeutes occasionnées par la cherté du blé eurent encore lieu de 1713 à 1715 en Normandie et dans le midi. A Caen, le peuple s’attaqua aux fabricans d’amidon et de poudre à poudrer, dont il dévasta les ateliers. Là comme à Toulouse, l’autorité fit en sorte de n’avoir pas à sévir. Il n’est pas jusqu’aux troupes qui dans ces circonstances ne donnassent l’exemple de la rébellion. Le ministre de la guerre avait traité avec un munitionnaire pour la fourniture du pain ; les soldats, qui le payaient plus cher qu’au marché, le refusèrent, et obtinrent gain de cause. A Lyon enfin, c’est encore Saint-Simon et Dangeau qui le constatent, un droit nouveau sur la viande provoqua en 1714 une révolte considérable. Il fallut mettre en mouvement sept régimens de dragons, deux régimens de cavalerie et quatre bataillons d’infanterie ; puis, par un compromis au moins étrange, en même temps que les com-