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mence par le bon bout Nous y pouvons entrer avec cette calme et sereine ardeur que donnent au savant, dans l’étude de la nature, la certitude de l’expérience et l’enthousiasme de l’inconnu, exprimés ici naguère en si beaux termes par M. Claude Bernard. Les institutions dans lesquelles se meut un peuple sont un laboratoire où se poursuit, à travers cette série d’expérimentations qui forme l’histoire, le progrès continu de la science politique et sociale. S’il est un fait démontré par l’expérience, au-dessus de toute contestation, c’est qu’en France les institutions donnent au pouvoir une prépondérance excessive dans le gouvernement et dans l’administration, et que la spontanéité nationale et le libre et original développement des individus sont trop comprimés par l’appareil gouvernemental. Tous les esprits élevés et désintéressés qui se sont appliqués à la politique depuis soixante ans, tous ceux qu’on peut appeler nos philosophes politiques, ont vu, décrit, dénoncé le mal et le péril. Sous la restauration, Royer-Collard montrait dans son grand et fier langage les libertés de la charte étouffées par la grande machine du despotisme qu’il appelait la centralité, et que nous nommons la centralisation. Au lendemain de 1852, notre Tocqueville nous replaçait en face de notre histoire, et nous faisait voir dans la centralisation révolutionnaire et impérialiste la résurrection ou plutôt la continuation rétrograde du despotisme de l’ancien régime. Mais en politique il ne suffit point que le faux et le vrai soient découverts par les grands esprits ; il faut que l’erreur soit comprise, que la vérité soit reconnue et voulue par les masses. Ce qui se passe dans les manifestations électorales de la France depuis deux ans est de nature à nous donner l’espoir qu’à cet égard l’esprit public prendra le bon chemin. On se met en train de réagir contre la tutelle abusive du pouvoir, et la réaction commence d’une façon toute pratique, aux premiers degrés de la vie publique. Les grandes villes protestent contre l’intervention impérieuse des préfets dans l’élection des députés ; les communes importantes veulent prendre plus d’influence dans l’administration de leurs affaires : elles disent clairement qu’elles veulent avoir à leur tête des maires appelés par le suffrage de leurs concitoyens, et non plus exclusivement élevés et choisis par l’autorité d’en haut. C’est donc par la vie municipale que la vie publique semble vouloir renaître : tendance excellente, et qui rend singulièrement encourageans les symptômes qui se manifestent à la surface du pays.

Ce serait pourtant se montrer inattentif que d’attribuer exclusivement à un mouvement latent, confus, qui s’ignorerait lui-même, l’état des esprits sur lequel nous insistons. Le grand intérêt de la décentralisation est l’objet actuel des préoccupations réfléchies des hommes politiques qui revendiquent pour la France le droit, l’honneur et la sécurité de se gouverner elle-même. Montaigne a lancé avec une plaisante drôlerie d’esprit un de ses plus vifs paradoxes contre les législations politiques artificielles, et il a intitulé cette sortie humoristique : des Cannibales. Rencontre piquante et