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La beauté grandiose de l’Etna se révèle sous d’autres aspects aux voyageurs qui vont en visiter le cratère. Que l’on gravisse le sommet du volcan par les pentes, presque entièrement déboisées, du versant méridional, et que l’on suive le chemin bien souvent décrit qui mène à la maison des Anglais, ou bien que l’on prenne les sentiers faciles qui passent à travers les bois encore épais de Linguagrossa, on peut également étudier de près les sources des coulées de lave et plusieurs de ces remarquables cônes de cendres et de scories qui s’élèvent au-dessus des crevasses divergentes du grand cratère. Plus haut, on gravit les longs talus tout composés de débris rejetés par l’Etna et complètement arides de la base au sommet. Pas une touffe d’herbes ne pousse entre les pierres, pas un lichen visible à l’œil nu ne s’attache aux blocs épars ; aucun insecte ne se montre sur le sol, à l’exception des coccinelles tachetées qui trouvent, on ne sait comment, à vivre dans ce désert. Jusque dans le cœur de l’été, de vastes champs de neige recouvrent les pentes supérieures : mais cette neige, saupoudrée de cendres très fines qui s’échappent incessamment du grand cratère avec le nuage de vapeurs, n’a jamais la blancheur immaculée des névés de la Suisse. Quant à la neige tombée sur le cône central, elle en a disparu presque en entier dès le commencement du printemps, fondue par la chaleur du foyer dont la sépare une simple paroi percée de fumerolles.

Après avoir marché pendant six ou huit heures au moins depuis le village qui a servi de point de départ, on gagne enfin le bord du cratère, entre les deux pointes suprêmes qui ont fait donner à l’Etna la qualification latine de bicornis. Tous les voyageurs célèbrent à l’envi dans leurs récits l’incomparable panorama sur lequel se promène le regard du haut de cet observatoire de 3,300 mètres. Il serait en effet bien difficile de rêver un spectacle supérieur en beauté à celui qu’offrent les trois mers d’Ionie, d’Afrique et de Sardaigne entourant de leurs eaux plus bleues que le ciel le grand massif triangulaire des montagnes de la Sicile, tout hérissé de villes et de forteresses, les hautes péninsules de la Calabre et les volcans épars de l’Éolie, fils de l’Etna, que les forces à l’œuvre dans le sein de la terre ont fait lentement surgir du fond de la Méditerranée. La puissante masse du volcan, dont le diamètre n’a pas moins de quinze lieues, s’étale largement au-dessous du cratère terminal avec ses zones concentriques de neiges, de scories, de verdure, de villages et de cités. Tous les détails de l’immense architecture se révèlent à la fois : on distingue les contre-forts et les abîmes, les courans de lave et les monticules d’éruption, pareils à de grandes fourmilières. Suivant les diverses heures du jour, on voit l’ombre gigantesque de l’Etna, accompagnée, comme par une armée, des