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ombres de toutes les montagnes qui lui font cortège, diminuer lentement, ou bien s’allonger peu à peu et se projeter au loin sur les plaines et sur la mer. Les nuages qui flottent dans l’étendue au-dessous de la cime du volcan modifient incessamment l’aspect de l’immense tableau : les uns s’effrangent aux cimes inférieures et se déroulent en écharpes transparentes, les autres s’amassent en lourdes assises et voilent tantôt un groupe de montagnes, tantôt une région de la mer ; parfois aussi ils remontent les pentes de l’Etna sous forme de brouillard, enveloppent le cône, se mêlent à la fumée du cratère, puis, après avoir limité le champ de la vue à un horizon de quelques centaines de mètres, se déchirent pour-laisser voir de nouveau l’espace illimité. D’ailleurs rien de plus facile, même lorsque le temps est parfaitement clair, que d’être, le témoin de cette transition soudaine. En se plaçant au milieu des épaisses fumerolles qui jaillissent le plus souvent de l’une des pointes du cône, on reste pendant quelques instans comme perdu ; dans la fumée d’une fournaise ; puis qu’une bouffée de vent emporte les vapeurs, et l’on revoit, comme par magie, les flancs de l’Etna, les côtes si gracieusement dessinées de la Sicile, et la mer, tellement rapprochée en apparence qu’on est tenté de faire un saut pour s’y plonger.

Quelle que soit la magnificence de cette vue d’ensemble embrassant un espace de plus de 200 kilomètres de rayon, néanmoins le regard est toujours ramené par une étrange attraction vers le trou noir que l’on voit fumer à une quarantaine de mètres plus bas. Le cratère, dont les parois fumantes sont en maints endroits colorées en jaune d’or par les dépôts de soufre et de muriate d’ammoniaque, change de forme à chaque éruption. Naguère il était double, et ses deux cratères fumaient à la fois ; à d’autres époques, il s’est oblitéré complètement, et les vapeurs s’échappaient par d’étroites crevasses ouvertes çà et là sur les talus. Parfois un cône d’éruption, semblable à celui du Vésuve s’élève graduellement au-dessus du puits pour s’écrouler ensuite et faire place à des monticules de débris. Des voyageurs ont vu le cratère rempli de laves jusqu’aux bords, tandis que d’autres y ont trouvé d’énormes couches de glace. Enfin, dans les grandes catastrophes, la masse du cône, réduite en poudre par les explosions volcaniques, a quelquefois disparu tout-entière en laissant au milieu du dôme un entonnoir de plusieurs kilomètres. Depuis moins de sept siècles, cet effondrement du cône terminal a déjà eu lieu quatre fois, et quatre fois la cime a été reconstruite de nouveau par le volcan. Aussi la hauteur de l’Etna varie-t-elle sans cesse. D’après Élien, les marins de son temps auraient remarqué que le phare du cratère qui les éclairait pendant