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le perfide et onéreux patronage qu’elle était condamnée à subir, elle avait d’autant moins hésité à fraterniser avec eux dans les délirantes démonstrations qui célébraient, depuis le départ de nos troupes, la « défaite » des chrétiens, que, fort perplexe sur le parti qu’un gouverneur à la fois chrétien et pacha allait tirer de ce brutal instrument, elle jugeait prudent à tout hasard de se mettre du côté du manche. D’autre part, les chrétiens, en se retrouvant seuls face à face avec les deux élémens impunis et en apparence plus liés que jamais de la conspiration des massacres, n’avaient pu réprimer un effroi bien naturel, qui puisait déjà dans son excès même, dans l’énergie désespérée de l’instinct de conservation, un caractère résolument agressif. On comprend quel surcroît d’excitations réciproques l’emploi des soldats turcs comme gendarmerie allait chaque jour apporter aux haines ravivées par leur seule présence. Le moins qui pût en résulter, c’était de maintenir dans un isolement farouche, implacable, des élémens dont le concert au moins tacite était la condition de rigueur mise à la création d’une milice indigène[1] ; mais, à vrai dire, le choc était inévitable, et c’est le règlement encore qui se chargeait de le déterminer.

Après avoir impitoyablement écarté ou, qui pis est, faussé le principe des majorités dans l’organisation représentative et judiciaire, le règlement de 1861 l’avait admis et même poussé à outrance en ce qui concerne l’administration proprement dite. Les moudirs ou administrateurs d’arrondissement, sur la proposition desquels le gouverneur-général devait nommer les administrateurs de canton, devaient être eux-mêmes choisis par celui-ci dans « le rite dominant soit par le chiffre de sa population, soit par l’importance de ses propriétés. » De cet apparent retour à l’équité, qu’on pouvait même accepter comme réel dans cinq arrondissemens sur six[2], résultait malheureusement ceci, que, dans l’arrondissement du Chouf, les chrétiens, bien qu’ils fussent sous les deux rapports l’élément dominant, se trouveraient, par suite de leur fractionnement

  1. Aux termes du règlement, elle doit être mixte et recrutée par la voie des engagemens volontaires.
  2. Les Grecs schismatiques dans le Coura, les Grecs catholiques à Zahlé, les Maronites dans le Kesraouan, le Méten et la circonscription de Djezzin, l’emportaient sur l’ensemble des autres élémens disséminés dans chacun de ces arrondissemens.