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en trois rites, éliminés du pouvoir exécutif au profit du groupe druse, qui l’emportait sur chacun de ces rites. Le Chouf était justement le foyer et le principal théâtre de la conspiration druso-turque de 1860 : ce qui dit tout, c’est là qu’est Deir-el-Qamar. La population qui avait fourni le plus de victimes aux massacres allait en un mot avoir pour magistrats civils, c’est-à-dire pour gardiens de sa sûreté et de ses droits, les représentans officiels de l’élément massacreur, lesquels auraient eux-mêmes pour auxiliaires obligés ces soldats turcs qui tenaient si bien les têtes quand les cangiars druses sciaient les cous. Pour ne pas voir qu’une telle combinaison devait engendrer des collisions et des rébellions quotidiennes, il fallait oublier que les nerfs tressaillent et que le cœur bat.

L’outrage était surtout irritant et cruel pour Deir-el-Qamar, qui n’avait commis, seize ans auparavant, la faute si lugubrement expiée d’appeler un gouverneur turc qu’en haine et défiance des Druses, dans le lot desquels cette ville se fût trouvée naturellement comprise lors de la fameuse division territoriale en deux caïmacamies. Telles étaient ses susceptibilités sur ce point que, pour protester à la fois contre les prétentions de la féodalité druse, qui n’avait pas cessé de considérer comme une usurpation l’existence au centre de ses domaines d’un grand’municipe chrétien[1], et contre les humiliations, les vexations croissantes dont cette féodalité accablait ses vassaux chrétiens, Deir-el-Qamar en était arrivée jusqu’à ne pas souffrir d’habitans druses[2]. L’acte tardif de justice qui venait la soustraire à la protection turque, et où la France elle-même voyait une garantie, prenait donc, grâce aux pièges du règlement, pour les survivans de cette population ulcérée, un tout autre caractère : celui d’une consécration officielle et définitive de la conspiration des massacres. C’est par trahison que l’autorité turque avait livré Deir-el-Qamar aux égorgeurs druses, et c’est légalement que l’autorité druse allait pouvoir la livrer aux soldats turcs.

Ce n’est pas encore tout : dans l’évidente pensée d’en activer la reconstruction et le repeuplement, mais sans prendre garde que, sous chacune des ruines à relever, il y avait des morts non vengés, la conférence de Constantinople érigeait Deir-el-Qamar en capitale. L’intention était bonne. Au point d’excitation où, par les

  1. Deir-el-Qamar, sur le versant occidental, et Zahlé, au pied du versant oriental de la montagne druse, n’avaient été en effet, celle-ci créée, celle-là développée par le vieil émir Béchir que comme contre-poids chrétien de cette féodalité.
  2. L’autorité turque, qui comptait bien exploiter la fureur produite chez les Druses par cette explicable, mais insultante exclusion, n’avait eu garde de s’y opposer.