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l’exaltation guerrière qui animait toutes les classes de la population. La victoire de Takou avait tourné toutes les têtes. Décidément ces Anglais n’étaient pas bien à craindre. Habitant une île de rochers, condamnés à l’état de matelots, ils pouvaient avoir quelque avantage sur mer ; mais une fois à terre ils n’étaient pas de force à lutter contre la grande armée chinoise. Voilà ce que pensait et disait la foule, dont les passions étaient excitées par le langage de San-ko-lin-sin et de ses officiers. Telle était l’opinion de la cour, qui n’apercevait pas la moindre difficulté à l’anéantissement des barbares. L’empereur partageait sans doute cette illusion. Il eut pourtant la sagesse de résister au parti qui lui conseillait la guerre à outrance ; les protestations de magnanimité et de dédain qu’il exprimait dans son édit aboutissaient en définitive à une conclusion pacifique, et ce fut là le point de départ des instructions qui furent adressées par le cabinet de Pékin aux gouverneurs de Shang-haï et de Canton, auxquels il convenait de prescrire sans délai la conduite à tenir envers les fonctionnaires et les négocians étrangers établis dans ces ports. Il était évident que ces mandarins, mieux édifiés sur le véritable état des choses, devaient se montrer disposés à la conciliation, et qu’ils se feraient avec empressement les organes d’une politique de paix. Nous avons lu l’édit de l’empereur ; voyons maintenant le style de ses mandarins.

Dans le courant de juillet 1859, peu de jours après le retour des ministres alliés à Shang-haï, M. de Bourboulon reçut du commissaire impérial Ho, gouverneur-général des deux Kiangs, la dépêche suivante :

« Les correspondances qui ont été échangées entre votre excellence et moi, lorsque vous êtes arrivé d’Europe, nous ont depuis longtemps déjà mis en rapport. Plus tard, à votre second passage à Shang-haï, nous ne nous sommes point vus : votre excellence est immédiatement partie pour Tien-tsin. Les commissaires impériaux, Kwei-liang et ses collègues, se sont dirigés en même temps vers Pékin par la route de terre. J’espérais donc que les traités auraient été promptement échangés, et que les nouveaux tarifs stipulés en faveur du commerce ne tarderaient pas à être en vigueur. Mon attente a été déçue. Votre excellence et le ministre anglais, M. Bruce, vous voici de retour à Shang-haï. Cependant, si je suis bien informé, le ministre américain, M. Ward, s’est rencontré à Peh-tang avec le gouverneur-général du Chih-li. Ils se sont fait visite, ils sont dans les meilleurs termes, et sitôt que Kwei-liang et ses collègues seront arrivés à Pékin, le traité américain sera échangé tel qu’il a été signé. Le ministre anglais, M. Bruce, ne sachant pas que le gouverneur-général l’attendait à Peh-tang, s’est présenté à Takou, ce qu’il n’aurait pas dû faire. Il en est résulté, sans qu’il y eût évidemment aucune intention d’un côté ni de l’autre, un accident fâcheux, et tout à fait imprévu.