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sénat est le gardien constitutionnel. La loi en question, proposée par le gouvernement, adoptée par la chambre après un débat assez animé, autorise la reproduction de morceaux lyriques par les boîtes à musique, les serinettes, les orgues de Barbarie et les pianos mécaniques. On réserve à ces instrumens le privilège de vulgariser les compositions musicales sans payer des droits d’auteur. Certaines personnes, et, comme M. Marie l’a rappelé, la magistrature française par des arrêts antérieurs, voient là une sérieuse question de propriété intellectuelle. Pour notre compte, nous trouvons que l’on exagère beaucoup trop en ce temps-ci les droits et les appétits de la propriété littéraire et musicale. En matière de littérature et d’art, nous ne craindrions point d’être un peu communistes, et il nous semble que c’est à ce communisme que l’Europe a dû en grande partie la culture littéraire qui l’a élevée depuis plusieurs siècles. Nous permettrions volontiers aux écrivains et aux artistes, à ces riches par droit de nature, le luxe un peu bohème qui prodigue sans compter les œuvres de l’imagination et de l’esprit. Il n’est pas bien certain que tous les règlemens de propriété littéraire doivent profiter aux auteurs, et nous craignons qu’ils ne servent plutôt, sans grand bénéfice pour les écrivains et les artistes, et au détriment du public, aux commerçans qui exploitent leurs œuvres. Nous ne serions pas surpris qu’un homme d’un véritable génie, comme Rossini, eût la générosité et la fierté de donner carte blanche pour ce qui le concerne aux fabricans de tabatières à musique, petites ou grandes. L’incident du sénat n’en est pas moins curieux. Dans une affaire qui touche au droit de propriété, voilà une commission du sénat qui met en échec le gouvernement et le corps législatif. Voilà le sénat, si accoutumé à ne pas s’opposer, qui s’oppose, ou du moins montre la velléité de s’opposer. La bonne chance de cet innocent conflit est, nous le répétons, de nous avoir valu le piquant morceau de M. Mérimée.

L’Algérie est-elle aussi pour nous une question d’été ? On le dirait. L’Algérie a été le motif récent d’excursions intéressantes. Hier c’était l’empereur qui revenait d’Afrique ; aujourd’hui c’est Abd-el-Kader qui arrive en France. Que vient-il faire chez nous, le grand homme de la nationalité arabe, lui, comme l’a dit le poète :

Lui, le sultan né sous les palmes,
Le compagnon des lions roux,
Le hadji farouche aux yeux calmes,
L’émir pensif, féroce et doux ?

Malheureusement notre corps législatif ne songeait qu’à s’envoler lorsque la question algérienne lui est arrivée sous la forme de la grande société avec laquelle l’état a traité pour le développement des travaux publics et du crédit dans notre colonie. Le sénat a bien eu une délibération curieuse, où il a été fort question de polygamie à propos du sénatus-consulte algé-