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rien ; M. Buffet a bien prononcé au corps législatif sur la colonisation un discours plus instructif et plus remarquable que tout ce qui a été dit au sénat. Une harangue aussi forte que celle de M. Buffet n’est plus de saison au commencement de juillet. M. Buffet a soutenu que nulle part et jamais on n’a colonisé dans les conditions où nous sommes et où nous voulons rester en Algérie. Il a eu en cela parfaitement raison ; mais si la saison permettait d’entamer un si sérieux débat, on aurait le droit de lui faire observer que l’Algérie est vis-à-vis de nous non une colonie, mais une contrée et une race conquises. Entre une colonie et une conquête, grande est la différence. Si l’on peut chercher des termes de comparaison pour l’Algérie, il ne faut point parler des colonies anglaises nées spontanément pour ainsi dire, vigoureusement produites par une émigration capitaliste. Les exemples des États-Unis, de l’Australie, n’ont rien à faire ici. C’est plutôt de l’Inde qu’il faudrait parler. L’embarras pour nous en Algérie est d’être en face d’une population en même temps très guerrière et très pauvre, fermée par l’opiniâtreté de sa religion à la force d’assimilation et d’absorption que nous pourrions exercer sur une population chrétienne, comme nous l’avons fait par exemple depuis un siècle sur la Corse. Puisque la volonté de la France s’est attachée à l’Algérie, nous avons à résoudre très lentement et à grands frais un problème très complexe. Dans les circonstances présentes, il eût été fort intéressant pour le public d’être mis à même d’apprécier les solutions auxquelles l’empereur s’est arrêté durant son voyage, Nous regrettons, quant à nous, que la presse française ait été invitée à s’abstenir de reproduire et de discuter le mémoire où l’empereur a résumé ses idées sur l’Algérie. Nous croyons que la publicité donnée à ce mémoire, tout en provoquant des contradictions qui eussent été utiles au gouvernement, eût fait honneur à l’empereur. L’affaire algérienne ne peut être en notre temps un secret d’état, un arcanum imperii. Elle ne peut réussir que par la coopération constante de l’opinion du pays éclairé par des communications et une discussion incessantes sur les chances et les conditions de l’entreprise. L’Algérie est un sujet sur lequel l’opinion publique et l’empereur lui-même peuvent se prononcer avec plus de compétence et d’utilité qu’ils ne le sauraient faire sur l’histoire de Jules César. Nous regrettons que l’empereur, qui n’a point hésité à confier au public le fruit de ses études sur l’histoire ancienne, nous laisse ignorer le résultat bien plus important et bien plus utile des recherches et des réflexions qu’il a consacrées à l’Algérie. La presse étrangère est plus à l’aise à cet égard que la presse française. Elle a publié des analyses et des fragmens du mémoire impérial ; mais nous n’osons nous fier à des révélations qui, étant interdites chez nous, doivent nous paraître suspectes quand elles nous arrivent sous un passeport étranger. Cependant, s’il était permis d’ajouter foi à des traductions étrangères, il n’y aurait point d’indécision dans la pensée de l’empereur, et le chef de l’état se promettrait