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a droit à une sérieuse attention, et, dût-il ne pas atteindre le but, je le félicite d’y avoir visé.

Tel est l’intérêt que me paraît offrir le nouveau recueil de M. Victor de Laprade intitulé les Voix du silence. Quelque opinion qu’on ait de l’auteur de Psyché, quelques reproches qu’on puisse adresser au ton habituel de ses chants, il est difficile à un esprit impartial de ne pas apprécier chez lui l’élévation de la pensée. Ce que j’estime ayant tout dans sa carrière d’écrivain, c’est sa fidélité constante à son art et le développement progressif de son talent. Les défauts qu’on lui a reprochés, il les connaît, il les avoue, il a souvent travaillé à les vaincre. De la froideur, de la monotonie, une gravité un peu tendue, voilà ce qui empêchait ces beaux vers de pénétrer au sein, de la foule et d’y semer les hautes pensées familières à ses méditations. Il s’est assoupli, il a cherché la grâce, la variété du style, il s’est détaché de la nature, où son âme rêveuse courait le risque de s’absorber tout entière, et il a vécu parmi les hommes. Il est même descendu dans l’arène, s’exposant, hélas ! à plaire aux partis plutôt qu’aux vrais amans de l’art, et à recueillir des applaudissemens ou des injures qui se trompaient également d’adresse. Ne sont-ce pas là des transformations, insuffisantes sans doute, mais curieuses à suivre pour un œil attentif, et qui attestent avec la bonne volonté de l’artiste un vrai foyer d’inspirations ? — Vous le trouvez froid d’abord, parce qu’il habite naturellement les hautes cimes de l’esprit ; vous croyez que ses créations sont pareilles à des statues de marbre, parce que son langage austère dédaigne les fausses élégances de la mode. Regardez-y mieux ; ces statues ont un cœur, cette gravité magistrale recouvre toutes les émotions généreuses ; la vie est là, non pas la vie artificielle d’une littérature surexcitée, mais la vie de l’âme, celle qui se renouvelle sans cesse au foyer du spiritualisme chrétien. Gustave Planche ne s’y était pas trompé lorsqu’ici même, il y a neuf ans, il jugeait en ces termes l’auteur des Symphonies : « Si le maniement des images est en poésie une affaire de première importance, il n’est pas permis d’oublier que la valeur des idées domine la valeur des images, et je reconnais avec empressement que M. de Laprade s’en est toujours souvenu. Qu’il ait parfois méconnu le côté musical de son art, qu’il ait négligé de charmer l’oreille ou de séduire l’imagination, je ne le nie pas. S’il n’est pas à l’abri de tout reproche dans la partie technique de la poésie, il peut s’en consoler facilement en songeant qu’il soutient la comparaison avec les plus habiles par l’émotion et la pensée. La pratique du métier lui enseignera ce que tant d’autres savent si bien et prennent pour la poésie même. Malgré les taches que je signale dans son talent, il occupe dès à présent un rang élevé dans