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exprime avec sincérité les émotions de chaque heure, et, tout en cédant çà et là à des accès de misanthropie, elle finit par ne plus prêcher que la bonne humeur, la gaité confiante, le dévouement joyeux. Pourquoi ? C’est que la poésie est née pour elle de ce long travail intérieur ; la poésie, fleur sans pareille quand elle s’épanouit dans les ronces, la poésie a tout parfumé sur sa route et tout ensoleillé.

Je ne donne pas ces pensées comme un système de morale où tout soit enchaîné avec autant de nouveauté que de vigueur, je ne signale pas les deux recueils de Mme Blanchecotte comme une œuvre poétique où la forme égale toujours la noblesse et la franchise du sentiment ; il est impossible pourtant de ne pas y voir une page détachée toute vive d’une destinée humaine. Eh bien ! je ne cherchais pas autre chose en introduisant ici ce chœur des voix de femmes. Je voulais savoir si, au milieu des doutes, des hésitations, des efforts laborieux et prétentieux des écoles savantes, la poésie étudiée à sa source avait contracté quelque chose des maladies courantes ; je la trouve saine au contraire, saine dans la joie et dans la douleur. Aujourd’hui, comme il y a quarante ans, comme à toutes les époques où l’inspiration lyrique a refleuri, le spiritualisme naturel, l’émotion, l’humanité enfin est la première condition de l’art, et mentem mortalia tangunt. Non, la poésie n’est pas morte, non, le XIXe siècle n’a pas épuisé sa veine ; il ne s’agit pour l’artiste généreux que de marquer l’or à son effigie et de préparer, s’il est possible, par des transformations heureuses une phase nouvelle du développement poétique, la phase virile, sereine, consolatrice, après la phase des amusemens puérils et des fantaisies équivoques


III

En traçant ces dernières lignes, j’ai songé involontairement au poète futur, comme celui que Joachim Dubellay, au XVIe siècle, appelait de ses vœux et couronnait d’avance ; il est bien permis de rêver un peu quand on parle de poésie, et quel rêve plus doux pour le critique des vers contemporains que de saluer le chantre de l’avenir ? Je remarque toutefois dès aujourd’hui que des poètes déjà éprouvés par la lutte ont compris comme nous cette nécessité d’une transformation. Se transformer tout en restant fidèle à l’inspiration si riche de notre âge, voilà le devoir : de la poésie dans la crise qu’elle traverse, comme c’est le devoir de la philosophie, de l’histoire, de la science religieuse, le devoir de toutes les grandes études inaugurées jadis avec tant d’éclatât trop souvent compromises en ces dernières années. Quiconque essaie de se transformer ainsi