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lule de l’œuf reste engourdie au-dessous d’une certaine température, et ce n’est qu’à +35 degrés que l’idée organique manifestera son activité. Je m’arrête ici : les exemples que j’ai cités, et qui se rapportent tous à des faits bien connus, me paraissent suffisans pour exprimer mon sentiment et faire comprendre ma pensée. L’expérimentateur ou le déterministe doit donc observer les phénomènes de la nature uniquement pour trouver leur cause déterminante, sans vouloir, pour les expliquer dans leurs causes premières, recourir à des systèmes qui peuvent flatter son orgueil, mais qui ne font en réalité que voiler son ignorance.

Il faut cesser, on le voit, d’établir entre les phénomènes des corps vivans et les phénomènes des corps bruts une différence fondée sur ce que l’on peut connaître la nature des premiers et que l’on doit ignorer celle des seconds. Ce qui est vrai, c’est que la nature ou l’essence de tous les phénomènes, qu’ils soient vitaux ou minéraux, nous reste complètement inconnue. L’essence du phénomène minéral le plus simple est aussi totalement ignorée du chimiste et du physicien que l’est du physiologiste l’essence des phénomènes intellectuels ou la cause première d’un autre phénomène vital quelconque. Cela se conçoit d’ailleurs : la connaissance de la nature intime des choses ou la connaissance de l’absolu exigerait pour le phénomène le plus simple la connaissance de l’univers entier, car il est évident qu’un phénomène de l’univers est un rayonnement quelconque de cet univers, dans l’harmonie duquel il entre nécessairement pour sa part. La connaissance de l’absolu est donc la connaissance qui ne laisserait rien en dehors d’elle. L’homme y tend par sentiment, mais il est clair qu’il ne pourra la posséder tant qu’il ignorera quelque chose, et la raison paraît nous dire qu’il en sera toujours ainsi. Toutefois la raison, même en servant de correctif au sentiment, ne le fait pas disparaître. L’homme, en se corrigeant, ne change pas sa nature pour cela ; son sentiment, refoulé sur un point, reparaît et se fait jour ailleurs. C’est ainsi que l’expérience, qui vient à chaque pas montrer au savant que sa connaissance est bornée, n’étouffe pas en lui son sentiment naturel, qui le porte à croire que la vérité absolue est de son domaine. L’homme se comporte instinctivement comme s’il devait y parvenir, et le pourquoi incessant qu’il adresse à la nature en est la preuve. Il serait du reste mauvais pour la science que la raison ou l’expérience vînt étouffer complètement le sentiment ou l’aspiration vers l’absolu. Le savant dépasserait alors le but de la méthode expérimentale, comme celui qui, pour redresser une branche vers une meilleure direction, la romprait, et ferait cesser en elle toute sève et toute végétation. En effet, on le verra plus loin, c’est cette espé-