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rance de la vérité, constamment déçue, constamment renaissante, qui soutient et soutiendra toujours les générations successives dans leur ardeur passionnée à étudier les phénomènes de la nature.

Le rôle particulier de la science expérimentale est de nous apprendre que nous ignorons, en nous montrant nettement que la limite de nos connaissances s’arrête au déterminisme ; mais, par une merveilleuse compensation, à mesure que la science froisse notre sentiment et rabaisse notre orgueil, elle augmente notre puissance. Le savant qui a poussé l’analyse expérimentale jusqu’au déterminisme d’un phénomène voit clairement qu’il ignore ce phénomène dans sa cause première, mais il en est devenu maître ; l’instrument qui agit lui reste inconnu dans son essence, mais il connaît la manière de s’en servir. Nous ignorons l’essence du feu, de l’électricité, de la lumière, et cependant nous en réglons les phénomènes à notre profit. Nous ignorons l’essence de la vie, mais nous n’en réglons pas moins les phénomènes vitaux dès que nous connaissons suffisamment leurs conditions d’existence. La seule différence est que dans les phénomènes vitaux le déterminisme est beaucoup plus difficile à atteindre, parce que les conditions sont infiniment plus complexes et plus délicates et qu’elles sont en outre combinées les unes avec les autres.

Le physicien et le chimiste, ne se plaçant pas en dehors de l’univers, peuvent étudier les corps et les phénomènes isolément, sans être obligés pour les comprendre de les rapporter à l’ensemble de la nature ; mais le physiologiste, se trouvant au contraire placé en dehors de l’organisme animal dont il peut voir l’ensemble, doit tenir compte de l’harmonie de cet ensemble en même temps qu’il cherche à pénétrer dans l’intérieur pour analyser le mécanisme de chacune des parties. Il s’ensuit que le physicien et le chimiste peuvent repousser toute idée de causes finales dans les faits qu’ils observent et que le physiologiste au contraire est porté à admettre une finalité harmonique et préétablie dans le corps organisé, dont toutes les actions partielles sont solidaires et génératrices les unes les autres. Si, à l’aide de l’analyse expérimentale, on décompose l’organisme vivant en isolant ses diverses parties, ce n’est point pour les concevoir séparément. Quand on veut donner à la propriété physiologique d’un organe où d’un tissu toute sa valeur et sa véritable signification, il faut toujours la rapporter à l’organisme, et ne tirer de conclusion sur elle que relativement à ses effets dans l’ensemble organisé. Il faut reconnaître en un mot que le déterminisme dans les phénomènes de la vie est non-seulement un déterminisme très complexe, mais que c’est en même temps un déterminisme harmoniquement subordonné. Les phénomènes physiologiques, si com-