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De la conscription. Le jeune marin n’est pas enlevé, comme le soldat, à toutes les habitudes de sa vie antérieure ; il n’est pas arraché à son industrie. Il continue au contraire à la pratiquer, et il s’y perfectionne pendant son séjour sur les bâtimens de l’état. Et quant à la durée indéterminée de son service, c’est à cette sévère exigence que les dispositions paternelles de la loi accordent de nombreuses compensations. Il faut bien le remarquer d’ailleurs, l’inscrit n’est pas enchaîné par une nécessité inexorable à la navigation ; il a le droit de renoncer aux charges comme aux avantages de l’inscription ; il peut, à son gré, rester dans le droit commun. Cela se fait très souvent et en particulier sur notre littoral de la Méditerranée. En 1864, le chiffre des renonces s’est élevé à treize mille ; mais, hâtons-nous de le dire, c’est un fait bien constaté que les renonces ont lieu en haine du métier de marin, si dur en comparaison de toutes les carrières plus faciles et plus lucratives qui s’ouvrent aujourd’hui de toutes parts. Elles n’ont pas lieu en haine de l’inscription maritime ; bien au contraire : l’inscription est regardée par les marins comme une protection. Si elle n’existait pas, ils savent très bien que dans les besoins urgens de la guerre ils seraient levés en masse ; comme par la press en Angleterre, et n’auraient pas pour dédommagement toutes les garanties, tous les avantages que les règlemens actuels leur assurent pour eux et pour leurs familles.

Les plaintes de notre marine marchande contre ces règlemens, ses réclamations contre la gêne qu’ils apportent à ses opérations sont chose plus sérieuse. Il est très vrai que cette marine est aujourd’hui dans une situation difficile, dans une sorte d’état maladif. Placée en face d’obstacles peut-être insurmontables, elle s’attaque avec violence à tous les embarras de détail qu’elle trouve sur son chemin. Les règlemens de l’inscription, qui l’obligent à concourir au développement de notre personnel naval et à se charger d’une partie des soins qu’il réclame, sont de ce nombre. Aussi, sans examiner si ces règlemens ne lui assurent pas à la longue des avantages plus qu’équivalons aux charges du moment, elle veut à tout prix s’en délivrer, et sans hésiter somme le gouvernement de tuer la poule aux œufs d’or. La question est toute pour nos armateurs une question de gain ou de perte immédiate, et l’on conçoit qu’ils la tranchent résolument ; mais à côté des intérêts privés il y a des intérêts généraux qui leur sont supérieurs, et dont un gouvernement prévoyant doit avant tout se préoccuper.

Nous ne voudrions pas que l’on nous crût insensibles aux embarras de notre industrie maritime. Il s’est réuni contre elle un concours de circonstances malheureuses qui ont amené presque partout son déclin, et qui, si elles se prolongeaient, ne pourraient