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prince d’aussi bon vouloir que le fut Louis XVI, proclamait la première la nécessité des réformes en même temps qu’elle se mettait à l’œuvre, trop tard sans doute, mais non sans un grand mérite. L’élite de la noblesse avait fait précédemment déjà quelques hardis progrès dans la voie des idées libérales, et la cour en un mot, reflétant la nation, s’inspirait du sentiment vague et secret d’un prochain péril pour tenter les routes non encore frayées. On ne se contentait pas de faire bon accueil aux idées que le travail prodigieux des esprits avait enfantées : on offrait la bienvenue, sans esprit d’exclusion, même à des vues et à des mœurs étrangères. C’est le moment ou cette société française, naguère presque impénétrable, s’ouvre à de faciles enthousiasmes, à de vives fantaisies, à des imitations naïves. Avec Marie-Antoinette, Gluck nous arrive ; l’Allemagne nous envoie en même temps les premiers échos de la gloire de Lessing, de Klopstock, qui vient de terminer la Messiade, et de Goethe, qui, la même année (1773), a publié Werther ; enfin une anglomanie passagère, à la suite des graves réflexions que le spectacle de la constitution anglaise nous avait inspirées, mêle à nos mœurs celles de nos voisins, et la langue elle-même s’élargit pour admettre des mots jusque-là peu usités ou entièrement inconnus. Cette ardeur de l’esprit français à invoquer alors toutes les réformes, à recevoir tous les exemples, devient pour une bonne partie de la nation un enivrement véritable, auquel se mêle la séduction toute-puissante des amusemens et des fêtes, qui reparaît ici à côté des préoccupations les plus graves. Nulle génération peut-être ne s’est plus entièrement livrée au plaisir. Les heureux de ce temps semblent n’avoir plus d’autre souci que de jouir sans inquiétude dans une atmosphère que rien ne saurait troubler, ou bien l’on est tenté de croire que cette cour, cette noblesse, ce monde élégant, ont déjà devant les yeux l’impitoyable image de leur lendemain, et que, si tout est perdu, ils veulent du moins par avance ravir au tourbillon quelques heures insouciantes d’enchantement et de fête. Or ce double aspect d’un louable et actif esprit de réformes et d’un invincible entraînement vers le plaisir, nous allons voir le roi de Suède l’observer avec curiosité en France et le reproduire autour de lui : nouvelle occasion pour nous d’ajouter quelques traits à cette étude, qui s’efforce de suivre l’histoire des rapports entre les deux cours.


I

Comment Gustave III, désireux de connaître toutes les vicissitudes intimes de la cour de Versailles, sera-t-il exactement informé ?