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Qui lui rendra les mille agitations d’un monde si complexe et le tableau d’une société charmante dont personnellement il connaît déjà les principales figures ? Qui l’instruira des événement intérieurs par lesquels ses intérêts les plus pressans peuvent être affectés ? Il faut se rappeler ici quelles précieuses relations il a su se ménager en France depuis son premier voyage. Accueilli par la haute société française et salué par elle, dans un moment de noble réaction contre l’abaissement du long règne de Louis XV, comme le prince idéal que rêvait la philosophie du siècle, il s’est lié d’amitié avec plusieurs des femmes que leur naissance, leur esprit, leur ascendant moral, plaçaient à la tête des cercles voisins de la cour. Depuis son retour en Suède, il a engagé avec elles une active correspondance en vue d’une constante information. Après l’avoir instruit de ce qu’il recherchait si soigneusement, ces lettres, retrouvées dans les papiers mêmes de Gustave à Upsal et publiées ici pour la première fois, nous ont instruits à notre tour. On y a vu, par des témoignages manifestes une louable agitation des esprits animant les hautes régions de la noblesse française, cette agitation engagée dans les voies nouvelles du libéralisme politique et dirigée, — ce que de rares exemples permettaient seulement de soupçonner naguère, — par plusieurs grandes dames de la fin du règne de Louis XV. La célèbre comtesse d’Egmont, fille du maréchal de Richelieu, dont le nom ne rappelait qu’une vie toute d’élégance et de fête, s’est montrée dans ces lettres profondément touchée des grands intérêts des peuples. En proie aux premières atteintes d’une mort prématurée, nous l’avons vue, sur son lit de souffrance, dicter à son amie Mme Feydeau de Mesmes, pour convaincre Gustave III, un mémoire contre l’absolutisme royal et en faveur des parlemens ; le partage de la Pologne lui a arraché des larmes d’indignation et de désespoir. Les comtesses de Boufflers et de La Marck ont apparu sous des traits analogues dans leurs correspondances, également inédites, et l’on a pu voir avec un patriotique intérêt cet aspect nouveau s’ajouter à la physionomie de l’aristocratie française pendant le XVIIIe siècle.

C’est la comtesse de Boufflers qui nous offre, dans la collection des papiers d’Upsal, les premières informations sur le règne de Louis XVI. Elle écrit à Gustave III, deux mois à peine après la mort de Louis XV, une longue lettre où se reproduit, à propos des mêmes questions qui avaient tant agité les années précédentes, son infatigable ardeur politique, et où se montrent déjà les difficultés naissantes du nouveau règne. Après un rapide moment d’excessif enthousiasme, on accuse déjà Louis XVI parce qu’il n’a pas accompli d’un coup toutes les réformes :