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« On avait écrit sur la statue de Henri IV : Resurrexit, dit Mme de Boufflers ; on vient d’écrire ce même mot sur celle de Louis XV. On se plaint de quelques prodigalités ; on accuse le retardement des réformes… La continuation de l’exil des magistrats est un sujet de mécontentement général parmi les gens de bien. On pense qu’il n’y avait pas un moment à perdre pour finir le malheur de tant de familles qui souffrent sans l’avoir mérité. Plusieurs de ces gens-là ont déjà péri de chagrin ; d’autres sont ruinés, tous sont privés de leurs charges et de leur état. On veut que M. de Maurepas rétablisse les choses sur l’ancien pied, sauf la réforme des abus, ou qu’il se retire. Votre majesté ne peut se représenter combien de vexations nous ayons souffertes en si peu de temps, faute d’avoir un moyen de réclamation auprès du roi. Le souverain n’a que cette voie du parlement en France pour connaître la vérité et pour entendre quelques maximes saines quand tout ce qui l’entoure est corrompu par l’ignorance, la flatterie ou l’intérêt. Si, dans les provinces, la noblesse ou le peuple éprouvent quelque injustice de la part des intendans, à qui peuvent-ils se plaindre ? » Le contrôleur-général, qui veut de l’argent à toute force, devient partie dans l’affaire, et n’abandonnera pas ceux dont il a besoin. Des gentilshommes de Normandie, province qui, outre les droits naturels de tous les hommes, en a de plus particuliers à une forme de gouvernement constante et légale, ayant signé, une requête respectueuse adressée au roi pour se plaindre d’impositions énormes et arbitraires, ont été poursuivis et emprisonnés. Une jeune fille de quinze ans, accusée d’avoir apporté la requête à Paris, a été mise à la Bastille sans femme pour la servir, quoiqu’elle, fût malade. En un mot, sire, la France est détruite si l’administration présente subsiste ; nous serons pis qu’en Turquie, où, en place des lois, il y a des usages qu’on respecte ; notre inconstance naturelle ne nous a pas même laissé cette ressource… »


Cette dernière parole est grave ; elle touche au vrai mal dont souffrait l’ancienne France et dont la France nouvelle n’a pas encore su se guérir, à cette centralisation excessive par laquelle le pouvoir à, depuis plusieurs siècles, absorbé dans notre pays, au profit de lois uniformes et abstraites, les forces indépendantes et vives de la coutume et de la tradition. Savoir distinguer ce péril au temps et dans la situation de Mme de Boufflers, c’était montrer un esprit sagace et politique. Dans ce qu’elle disait du parlement, Mme de Boufflers était l’interprète non pas seulement du prince de Conti, mais de l’opinion publique. Le parlement Maupeou était devenu l’objet de toutes les railleries ; on disait, en faisant allusion à la somme payée par Beaumarchais : « Louis XV a exilé l’ancien parlement ; quinze louis pourront bien faire chasser le nouveau. » On racontait qu’un plaideur ayant à se rendre son rapporteur favorable, mais craignant de donner prise au grief de corruption, s’y était pris avec adresse. L’objet de son procès était une contestation de limites ; le rapporteur refusait de l’entendre, lui disant qu’il