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la hâte pour lui demander des détails et lui exprimer sa sympathie. « Il est bien étonnant, disait-il, qu’un pareil événement puisse arriver sous le règne d’un prince tel que la France n’en à pas eu depuis Henri IV… O temps, ô mœurs ! » Et il avait fait expédier pour Rouen dix mille sacs de seigle qu’il offrait à Louis XVI : curieux témoignage d’un penchant, que nous signalions tout à l’heure, à affecter désormais envers nous une allure de supériorité protectrice, et premier présage du rôle que Gustave devait jouer à la fin de sa vie en essayant de se placer à la tête de la contre-révolution européenne.

Le comte de Creutz n’eût accompli que la moitié de sa tâche s’il n’eût ajouté au récit des essais de réformes politiques ou sociales le tableau que nous n’avons pas besoin de reproduire, tant il est connu d’ailleurs, des fêtes et des plaisirs qui se multipliaient avec un nouvel essor à la cour ou dans les hauts rangs de la société française. Fêtes et réformes répondaient également, nous l’avons dit, aux ardentes aspirations de ce temps et l’avènement d’une jeune cour après un si long règne avait encore excité le goût du plaisir. Naturellement le nom de la reine est bien souvent prononcé dans les rapports des ambassadeurs qui rendent compte des amusemens de Versailles ; mais leurs correspondances (nous en avons examiné plusieurs) témoignent du peu de fondemens solides que le train de la cour pouvait offrir aux accusateurs de Marie-Antoinette (A vrai dire, la récente publication de M. Arneth, de Vienne, qui donne la correspondance entre elle et sa mère, est encore ce qui la charge le plus, mais sans une réelle gravité. Mariée à quatorze ans et demi à un prince de vingt ans fort incapable d’achever son éducation, la dauphine passe subitement, de la douce condition que la simplicité des mœurs germaniques faisait à sa rieuse enfance, dans l’atmosphère que la corruption des dernières années de Louis XV a empoisonnée ; sa tenue est parfaite cependant, — malgré les conseils assidus, nous ne voulons pas dire intéressés, de sa mère, — envers la Du Barry, dont elle subit le contact et la vue avec dégoût. Reine à dix-huit ans et n’ayant toujours d’autre guide que l’impératrice, qui est loin d’elle, trop longtemps privée des impérieux et salutaires devoirs de la maternité ainsi que de la dignité qu’ils confèrent, trouvant dans la famille nouvelle qui l’entoure les pièges les plus cachés et qu’elle pouvait le moins soupçonner ou reconnaître, quoi d’étonnant et quoi de scandaleux si elle a voulu se soustraire à l’odieuse étiquette jusqu’à paraître à mesdames tantes, filles de Louis XV, ou même à l’excellente, mais rigide Mme de Noailles, insubordonnée et légère ?

Les dépêches de Creutz, dans ces premières années du moins, ne