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devant ce roi comédien, les ministres étrangers ne suffisent pas, en certains temps, à le suivre dans ses rôles innombrables. Le voici déguisé en roi des Gaules, et Mme de Löwenhielm (la belle Augusta Fersen) lui vient offrir une écharpe dont il restera paré longtemps après. Ou bien Diane chasseresse a ouvert une lice : le roi y paraît en Méléagre, tandis que la comtesse Höpken (célèbre aussi par sa beauté) s’y montre à cheval en Atalante. Quelquefois la cour se travestit suivant un programme convenu, sans qu’il y ait de scènes composées à l’avance, et chacun doit observer pendant toute la fête le caractère du rôle qui lui est dévolu ou l’esprit général du déguisement adopté. On figure par exemple la foire Saint-Germain ou bien la cour de la reine Christine ; les vêtemens historiques du garde-meuble royal ont été mis en réquisition pour que rien ne manquât à la couleur locale : on voit Chanut, et Pimentel, et le grand Descartes. S’agit-il de fêter Madame Royale, sœur du roi, on représente la Rosière de Salency, divertissement paré dont les rôles sont remplis par toutes les personnes de la cour : « le seigneur de Salency (le roi), la dame de Salency (la reine), le bailli (le comte Charles Fersen), le maître d’école, le bedeau, le porte-goupillon, le barbier, l’apothicaire, le suisse, le hoqueton, les joueurs de quilles, les personnages de la bascule, les balanceuses de l’escarpolette, les patres et pastourelles, les garçons du village pour le ballet des cerceaux, tous habillés dans le costume. » La rosière choisie, non pas seulement pour sa vertu, mais pour sa beauté, porte finalement sa rose, dans laquelle Gustave III a placé une bague avec un diamant de 10,000 rixdales, à la sœur du roi, en lui récitant ce couplet du poète de cour Oxenstierna :

Je ne perds rien de ma gloire
En cédant à vos attraits ;
Si vous gagnez la victoire,
Je m’en trouve le plus près.
Je puis me consoler d’elle :
Nos bergers m’assurent tous
Qu’on peut être plus que belle
Et la seconde après vous.


Ce sont encore ou des fêtes allégoriques, ou des scènes de mythologie, avec allusions piquantes aux faits contemporains, ou de simples impromptus à peine relevés par des fictions bizarres en vue desquelles Gustave III et ses plus intimes courtisans déploient un esprit singulièrement inventif. Les correspondances du temps en contiennent de nombreux récits, dont voici seulement quelques souvenirs, empruntés aux dépêches des ministres étrangers, presque toujours témoins oculaires.