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« 11 février 1777. — Il y eut avant-hier chez M. le duc de Sudermanie une fête ingénieusement ordonnée, dont le sujet était le mariage d’un fils de l’empereur de la Chine. Tous les habits et la décoration des appartemens étaient conformes au costume du pays, et M. Beylon, qui faisait le personnage de l’empereur, a soutenu le rôle avec une aisance et un à-propos dans tout ce qu’il a dit qui ont fait le charme de la soirée. »

« 2 mai (de la même année). — Une petite fête a eu lieu, en présence de tous les agens diplomatiques, chez la reine régnante, pour le jour de naissance de la princesse sœur du roi. À minuit, pendant le bal, deux hérauts, précédés d’une musique guerrière et suivis d’un brillant cortège, sont entrés et ont proclamé, au nom du roi Gustave III, un défi, avec les conditions du combat, que M. le duc de Sudermanie, à la tête de tous ses chevaliers, a accepté. Tout cela s’est accompli très gravement, suivant les lois et nobles Ils de l’ancienne chevalerie. Le tournoi qui doit suivre n’aura pas lieu, dit-on, avant le 28… »

« 14 octobre. — Le prince Frédéric, aussitôt qu’il a été de retour, s’est rendu immédiatement à Gripsholm. Il s’attendait à trouver tout le monde sur son passage ; il a été fort surpris de n’apercevoir âme qui vive ni sur les avenues, ni au château même. Chacun, jusqu’aux sentinelles, avait ordre de se tenir caché. Les barrières étaient abattues, les portes fermées, les appartemens sans lumières ; tout avait l’apparence d’une habitation abandonnée et déserte. Après avoir appelé et attendu inutilement, le prince et sa suite sont obligés de mettre pied à terre pour lever eux-mêmes les traverses. S’étant mis ensuite à parcourir les appartemens, au lieu des personnes de la cour qu’ils cherchent en vain, ils ne rencontrent que quelques troupes de paysans qui errent ça et là dans un morne silence. Résolus alors, en vaillans chevaliers, à pousser l’aventure, ils pressent ces bandes fugitives à la faveur de quelques lueurs sombres. Tout à coup ils se trouvent arrêtés par un bruit confus de gémissemens et de soupirs plaintifs, comme de gens qui s’éveillent d’une léthargie profonde… C’est qu’en effet la valeur du prince et de ses compagnons a dissipé les mauvais génies et rompu leurs maléfices ; la cour recouvre la voix pour remercier son libérateur ; le château se retrouve éclairé subitement comme par un coup de baguette, et le bruit du canon, mêlé au son des instrumens, annonce la fin de l’enchantement, auquel succède le plaisir d’un bal. »

« 5 novembre 1782. — La cour, qui est à Gripsholm, continue à s’occuper d’amusemens plus que d’affaires. On s’est plu l’autre jour à y recevoir Mme la princesse Sophie-Albertine dans le goût des fameuses mystifications de Poinsinet à Paris. Comme son altesse n’avait jamais été à ce château, on avait placé dans les environs des sentinelles habillées à l’allemande, qui lui parlèrent en cette langue en arrêtant sa voiture pour lui donner le change sur ce qu’elle pourrait être égarée. Étant ensuite arrivée à Gripsholm, on lui fit tous, les honneurs d’une abbesse de Quedlinbourg. Les personnages de la cour les plus corpulens, après s’être travestis en chanoinesses et s’être permis mille singeries, se préparèrent à initier la princesse dans leurs mystères… »