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Tels étaient les divertissemens de Gustave III et de sa cour. N’en accusons pas encore l’abus, dont les effets se montreront plus tard ; rendons d’abord justice à l’utile éclat qui a signalé les premières années de ce règne aux sympathies du reste de l’Europe. Après avoir conquis tout d’abord, par un louable esprit de réforme sociale, une place distinguée parmi les souverains éclairés du siècle, au-dessous du grand Frédéric et de la grande Catherine assurément, mais à côté de Joseph II, de Léopold, grand-duc de Toscan, du pape Clément XIV et de Louis XVI, Gustave III devait aussi séduire ses propres sujets et plaire à son temps par son élan spontané, si bien d’accord avec le goût des contemporains, vers les brillans plaisirs. La cour suédoise fut longtemps sous son règne le rendez-vous renommé de toutes les fêtes. De la cour même une pareille ardeur gagna la nation, et, parmi les traditions nombreuses qui accompagnent aujourd’hui le souvenir de Gustave III, on rencontre surtout celle d’une époque de mœurs élégantes et enjouées. Aux antiques coutumes, qui subsistaient encore, les meilleurs emprunts qu’on eût faits des usages français étaient venus se joindre. De fréquens voyages avaient familiarisé les hautes classes avec les délicatesses étrangères, et le gros de la nation avait goûté vivement, au lendemain des discordes civiles, les douceurs d’une période tranquille et prospère ; c’est d’alors que datent pour le peuple suédois cent joyeuses légendes, et, grâce au talent inimitable du poète Bellman, tout un cycle intéressant de chansons populaires et poétiques.

L’empreinte du règne de Gustave III est restée sur la société suédoise et sur la capitale même de la Suède. Le goût de la langue et de la littérature françaises avaient pénétré dans le Nord, il est vrai, dès le commencement du XVIIIe siècle ; mais c’est grâce à Gustave que ce goût est devenu pour les Suédois une douce habitude. La révolution française et les vicissitudes inouïes du XIXe siècle sont venues mettre cent fois les différens peuples en contact avec la France ; mais le moment du charme et de la séduction a été pour la plupart d’entre eux le dernier tiers du XVIIIe siècle : la Suède particulièrement ne l’a pas oublié. Beaucoup de familles s’y retrouvent où les souvenirs de Gustave III sont vivans encore, et la société de Stockholm continue d’entourer de ses respects quelques rares personnes, comme Mme Marianne d’Ehrenström, témoins de cette époque. Née en 1773, Mme d’Ehrenström, qui avait un frère page à la cour de Gustave III, n’est jamais venue en France ; elle parle cependant, — nous prenons plaisir à nous le rappeler, — le français élégant du XVIIIe siècle, et a publié sur la littérature suédoise de ce temps-là deux intéressans volumes dans notre langue. Le poète Léopold a fait en français des quatrains pour elle, et nous avons