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victime de son obstination. L’esclavage peut être un régime commode à l’entretien d’une aristocratie militaire. Les ilotes bêchent la terre, nourrissent le pays, tandis que les maîtres consacrent leurs loisirs aux armes ; mais cela ne peut durer : ils ont trouvé au nord des adversaires égaux en courage et supérieurs en force, car le nord produit tout en faisant la guerre ; le sud s’épuise et ne se renouvelle pas. L’esclavage, qui l’a rendu redoutable, est à la longue un germe de mort. Il en est presque à son dernier sou et à son dernier homme. Sur un million de soldats, il en a perdu sept cent mille. Tous les hommes de quinze à cinquante ans sont sous les armes ; il y a des enfans qui ont déjà vu vingt batailles. Encore un peu de temps, et cette classe arrogante qui se dit l’aristocratie du sud rentrera dans la masse commune. Le sol sera aplani pour une colonisation nouvelle. Des hommes venus du nord, des capitaux venus du nord, régneront sur la terre conquise ; l’industrie, incompatible avec l’esclavage, prendra son essor ; la prospérité renaîtra en peu d’années, et la conquête s’achèvera par une régénération…

La question des finances ne l’effraie pas plus. Il y a des gens qui menacent les États-Unis d’une banqueroute. Le lieutenant dit que jamais son pays n’a été si riche. Si l’on dépense plus, eh bien ! l’on produira plus. L’industrie est plus active et la population plus nombreuse que jamais. Chaque jour d’immenses territoires sont défrichés, peuplés, conquis à l’agriculture et à la civilisation. L’ouest est destiné à être le grenier du monde. Quant aux richesses métallurgiques de l’est et du nord, elles supplanteront bientôt celles de l’Angleterre et de la Suède. La seule récolte du foin de l’an dernier vaut plus que les anciennes récoltes de coton dans tous les états du sud. Il ne faut pas appliquer à l’Amérique les théories surannées de l’économie politique européenne. C’est une immense mine inexploitée qui appelle les capitaux et les hommes. La banqueroute même, dût-on y recourir, serait une perturbation passagère qui retarderait à peine l’essor de la richesse publique. Que seulement l’esclavage, ce germe de discordes éternelles, soit déraciné de la terre du sud ; que l’unité nationale soit maintenue et fortifiée à tout prix ; qu’on détruise,’s’il le faut, le membre malade ! Pour une branche coupée, cent autres naîtront à sa place. L’Amérique est comme l’ancienne Rome,

… Ab ipso
Ducit opes, animumque ferro.

Qu’y a-t-il de vrai dans tout cela ? L’humilité n’est pas, vous le voyez, leur défaut. De tant de forfanteries je peux ! conclure au moins ceci : qu’ils sont un peuple hardi, obstiné, vivace, peu sujet