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lance des matrones. L’école les reçoit chaque jour pendant un nombre d’heures qui varie suivant leur âge. On leur apprend à lire, à écrire, à calculer, à chanter ; on leur fait même un cours d’histoire et de politique qui commence à la révolution, finit à la guerre civile, et où ces deux grands événemens sont sans cessent patriotiquement rapprochés. Un Français s’étonne toujours de voir des petites filles de dix ans parler politique et expliquer la constitution. Cela paraît indispensable en Amérique, car si les hommes y font les affaires publiques, ce sont les femmes qui les enseignent. En entrant dans la grande salle de l’école, nous cherchâmes vainement la figure d’un homme : une femme tenait le piano et conduisait le chant. Des femmes assises près d’elle semblaient être les docteurs de l’université enfantine. Toutes les petites têtes blondes encadrées dans leurs tabliers blancs, fixaient avidement les yeux sur l’estrade où nos seigneuries venaient de paraître, et après la formalité des trois hurrahs obligatoires tout retomba dans un profond silence. Alors on entonna le God save the Queen, puis l’air national américain ; enfin un jeune garçon décoré de l’épaulette, un des chefs de l’armée qui venait de manœuvrer devant nous, monta sur une sorte de tribune, et nous adressa un compliment en forme de discours. Un second récita une pièce de vers ; puis deux petites filles vêtues de blanc, représentant l’une l’Amérique, l’autre la France, s’avancèrent leurs drapeaux à la main et nous dirent un dialogue politique sur les causes de la rébellion. Elles conclurent par un vœu patriotique qui fut vivement applaudi, et nous sortîmes comme nous étions entrés, au bruit des hurrahs et des cheers.

C’était le plus joyeux de notre visite. On nous mena ensuite à l’hôpital, où les petits malades succombent plus souvent qu’ils ne guérissent, exténués qu’ils sont d’avance par la misère et les privations, les uns, pâles et silencieux, mouraient sans plainte ; les autres, convalescens, nous souriaient d’un air étonné, et essayaient quelque petits jeux pour charmer leurs longues heures d’ennui. Il m’a paru que l’insouciance enfantine recevait quelque atteinte de ce continuel voisinage de la mort.

Il y a dans l’île un grand nombre d’enfans rachitiques : ce sont ceux que leurs parens abandonnent le plus volontiers à la charité publique. Il y a aussi beaucoup d’idiots et de fous. Rien n’est plus triste que le riant cottage qui leur sert de demeure. Là une sorte de singe à tête d’oiseau est venu nous tendre la main, et, les yeux stupidement fixés sur les nôtres, répondre à nos questions par des grimaces. Un pauvre enfant mince et frêle, à tête énorme et pleine d’eau, penchait son cou faible et ouvrait à peine ses yeux appesantis, tandis que son bras tremblant étendait vers nous sa main