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même pour improviser si vite ce que d’autres ont mis tant de siècles à fonder. Aujourd’hui l’Américain paie à toute heure, directement ou indirectement, pour tous les actes de sa vie ; il ne peut faire un pas sans laisser quelques flocons de sa laine aux mains de l’état : impôts fonciers et mobiliers, sur la consommation et sur le revenu, sur les échanges et sur le luxe, toutes les inventions fiscales de l’Europe sont adoptées à la fois. La viande paie, le vin paie, et l’eau-de-vie, et le sucre, et l’huile, et le tabac, et le sel et le papier, et l’habit que vous portez, et le piano qui est dans votre salon, et le cheval qui est dans votre écurie, tous les produits du sol, tous les produits des manufactures, sauf le pain et les journaux. Les douanes frappent l’importation et l’exportation indistinctement. Le timbre est imposé au moindre contrat, au moindre billet, à la moindre signature ou quittance, et sous peine de nullité, pour toute somme au-dessus de 10 dollars. Il atteint jusqu’aux petites transactions qui se font de la main à la main : une bouteille d’encre, un pain de savon, un paquet de plumes, une boîte d’allumettes paient le timbre. Et ce n’est pas tout : le gouvernement, qui puise à toute heure et sous tous les prétextes dans votre bourse, vous exploite encore en grand par cette dîme appelée l’impôt du revenu. qui vient d’être portée de 3 à 8 pour 100, augmentée d’un tribut supplémentaire de 5 pour 100 sous le nom d’impôt rétrospectif et de complément des années dernières, et aggravée par l’obligation de payer double taxe pour les citoyens qui vivent à l’étranger. Ajoutez-y les charges locales, municipales, les impôts des états, l’entretien des villes ; souvenez-vous enfin que toutes les taxes réunies n’arrivent pas à payer la moitié de la dépense, et vous serez comme moi épouvanté. C’en serait assez pour lasser un peuple éprouvé au joug, à plus forte raison une nation neuve, qui semblait tenir à ses immunités pécuniaires comme à une part de sa liberté.

12 juillet.

Si j’étais resté à Washington, j’y aurais été enfermé par l’ennemi. Si je m’étais arrêté à Baltimore, le gouverneur m’aurait, comme les autres, mis à contribution pour les travaux de la défense. L’incursion dont les confédérés menaçaient la frontière a pénétré jusqu’au cœur du Maryland. Il était curieux de suivre le progrès de la nouvelle et de voir l’incrédulité lâcher pied peu à peu. Washington était si loin de se croire en danger, qu’on y attendait la dernière bataille qui devait faire tomber Richmond. On glorifiait le général Grant, sa prudence hardie, ses inventions napoléoniennes, sa campagne semblable à celle d’Austerlitz. Il courait des bruits de