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encore, » il s’abstenait : c’était maintenant aux grandes puissances d’agir, comme si l’on ne savait pas très bien à Stockholm que le seul moyen encore possible d’entraîner ces grandes puissances dans l’action, c’était précisément d’y entrer hardiment soi-même et le premier ! Comment toutefois accuser la Suède de n’avoir pas su déployer un courage qui fut inconnu même à la fière Angleterre ? Comment reprocher son humilité à l’hysope du mur, lorsque le cèdre du Liban lui-même pliait devant le souffle de M. de Bismark ? Reconnaissons plutôt que le gouvernement de Charles XV se déclarait « toujours prêt à se joindre à n’importe quelle grande puissance qui viendrait au secours du Danemark. » Reconnaissons aussi que, si le gouvernement de Stockholm s’associait volontiers aux diverses démarches de l’Angleterre dans l’intérêt de la paix, il ne jugea cependant pas de sa dignité de seconder le noble lord Russell dans ses sommations à l’adresse de Copenhague, et ne crut jamais devoir presser le roi Christian de se soumettre aux exigences allemandes, « d’en finir » même avec la loi fondamentale du pays[1].

D’ailleurs, et pour rendre la Suède très circonspecte dans ses mouvemens, il y avait encore d’autres raisons que le peu de sympathie que lui inspirait le successeur de Frédéric VII, que les timidités de l’Angleterre et les recommandations de la France. Il y avait surtout la Russie, la voisine redoutable sur le compte de laquelle on était loin de partager à Stockholm les étranges illusions de la candide diplomatie britannique. Cet empire des tsars, qui en 1848 s’était montré un des plus fermes soutiens de la monarchie danoise et qui, dans le cours ordinaire des choses, aurait dû en effet être le plus intéressé à empêcher Kiel de devenir un port allemand, cet empire était maintenant détourné forcément de sa politique traditionnelle dans la question des duchés par suite de la solidarité impérieuse que l’insurrection de Pologne avait établie entre lui et le cabinet de Berlin. Les craintes qu’inspirait au gouvernement russe cette insurrection toujours persistante, les appréhensions alors générales d’un branle-bas pour le printemps, décidèrent le prince Gortchakov à passer à M. de Bismark toutes ses fantaisies sur l’Eider, à lui prêter même un concours absolu et d’autant plus efficace qu’il prenait les dehors d’une neutralité affairée en quête d’un arrangement pacifique. La connivence de la Russie dans l’odieuse spoliation de la monarchie danoise n’était déjà plus, dès le mois de décembre 1863, un secret pour tout esprit judicieux et tant soit peu

  1. Voyez la dépêche du comte Russell à lord Cowley du 20 décembre 1863 et la correspondance de M. Jerningham, ministre britannique à Stockholm, des 6, 13 et 19 janvier 1864.