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toile de son surplis et de construire, quand il le pouvait, des greniers d’abondance. Dans un pays où la propriété est une grande source d’influence, il tient à être riche pour être puissant, et en cela il a été aidé de siècle en siècle par la générosité des fidèles. Il ne faudrait pourtant pas croire que ce soin des intérêts matériels absorbe chez lui l’ardeur des convictions religieuses. L’église anglicane est une institution à la fois temporelle et spirituelle : c’est surtout à ce dernier titre qu’elle commande le respect des populations. Le protestantisme a son idéal ; mais cet idéal se traduit constamment en devoirs pratiques. Ce qu’on attend donc surtout du vicaire de campagne est un exemple. Il faut que sa maison soit un modèle, car aux yeux des Anglais les devoirs religieux commencent à la vie domestique. Pour qu’il en soit ainsi, il est nécessaire que le clergyman soit marié ; comment donnerait-il sans cela aux autres le type des vertus de famille dont certains vœux personnels lui interdiraient l’exercice ? La force morale qui distingue surtout dans la Grande-Bretagne la classe moyenne tient en grande partie à sa manière de vivre. Ici chacun a sa maison où il enferme le meilleur de son âme ; cette séparation favorise les habitudes de réflexion et de recueillement d’où se dégage presque toujours un certain idéal religieux. Une solitude qui n’a d’ailleurs rien d’exclusif ni de farouche développe ainsi les qualités morales de l’individu, la vie intime et les nobles sentimens qui élèvent les rapports de l’homme avec la nature. Le presbytère, entouré de paix et de verdure, caché comme un nid à l’ombre des grands arbres et de l’église, se trouve plus que tout autre placé dans de bonnes conditions pour l’étude et la rêverie. Au fond de ces calmes retraites, il faut que le cœur se replie sur lui-même ou qu’il s’élance vers Dieu.

L’emploi du temps et de la journée y est sévèrement réglé : à huit heures du matin, la cloche sonne le déjeuner. Ce repas frugal est précédé d’une prière à genoux que lit le pasteur et à laquelle assistent le cercle de famille ainsi que les domestiques de la maison. Durant la matinée, le vicaire travaille dans son cabinet ou visite les malades. Couvert d’un chapeau rond et sa canne à pomme d’or sous le bras, il se dirige à pas lents le long des haies. Les écoliers le saluent au passage ; les plus braves d’entre eux osent même lui adresser la parole. Un vénérable pasteur laisse derrière lui un long souvenir dans le village ; ses bons mots, son sourire, l’air dont il accueillait les enfans, sont restés gravés dans la mémoire de ceux qui l’ont connu et qui en parlent le soir autour du foyer de la chaumière. À une heure, un second déjeuner (lunch) réunit autour de la même table la famille du vicaire, qui, avant et après le repas, offre au ciel en peu de mots une action de grâces. L’après-midi est consacrée aux visites, aux excursions ou à certaines affaires de la paroisse.