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à la table du château et de recevoir un dîner qu’il n’est point à même de rendre, il invite au contraire chez lui, des baronnets, des juges, quelquefois même des lords, confondant ainsi les rangs dans l’égalité de l’intelligence. Ses talens, qui comptent aussi en Angleterre pour un capital, lui donnent le droit d’être écouté, car plusieurs des vicaires de campagne sont des savans et des lettrés ; ils auraient pu choisir une autre carrière et s’y faire remarquer par les travaux de l’esprit. La situation du vicaire anglais n’est pas non plus soumise, comme celle de nos curés de campagne, aux caprices de l’évêque. Il a acheté sa charge, ou un autre a consenti à l’acheter pour lui, ce qui revient à peu près au même ; il est dès lors investi d’une sorte de propriété, et l’on connaît le respect de nos voisins pour les droits acquis. Suivant quelques-uns, ce respect a même été poussé beaucoup trop loin, et nuit en plus d’un cas à la discipline de l’église. L’évêque n’a presque aucun moyen de destituer un vicaire infidèle à ses devoirs ; il peut, il est vrai, le poursuivre devant les tribunaux, mais il ne fait ainsi qu’éventer le scandale, et il est rare qu’il obtienne une réparation sérieuse, Un procès de ce genre s’ouvrit, il y a quelques années, en Angleterre. Un clergyman, appuyé par le lord d’un ancien manoir, menait depuis plusieurs années une vie peu édifiante. Après avoir épuisé en vain les remontrances et les avis, le chef spirituel du diocèse crut devoir recourir aux moyens judiciaires. L’évêque dépensa beaucoup d’argent, le lord ami de l’ecclésiastique incriminé en dépensa davantage, et à la suite de longues épreuves le clergyman sortit du procès, sinon justifié, du moins impuni. Il se peut d’un autre côté que le vicaire, sans donner lieu par sa conduite à aucune censure ; entretienne des opinions contraires à celles de l’orthodoxie anglaise : dans ce cas encore, il est très difficile de l’atteindre. La vérité est qu’à l’époque de la réformation, l’église anglicane, ayant passé des mains du pape entre les mains du souverain, se trouva tellement subordonnée aux autorités civiles et confondue dans l’administration des affaires séculières, qu’elle demeure encore aujourd’hui désarmée et presque impuissante vis-à-vis des abus de ses propres membres. Par un contraste frappant, l’évêque exerce une sanction absolue et discrétionnaire sur les actes du curé ; il peut le suspendre ou le destituer à son gré. La raison de cette différence est facile à saisir : le curé est un simple salarié (stipendiary), tandis que le vicaire se montre en quelque sorte inexpugnable derrière les lois de la propriété, qui le couvrent comme un rempart contre les foudres de l’autorité ecclésiastique.

Le clergé anglais, on le voit bien, n’a point pris à la lettre les conseils de l’Évangile à propos des oiseaux du ciel et du lis des champs : il a au contraire jugé prudent d’amasser le lin pour filer la