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trait pour trait, un frère de Hubert Wardour de la Tragédie humaine. Tous deux ont une supériorité intellectuelle généralement reconnue, tous deux refusent de lui donner un emploi régulier, qu’ils regardent comme une déchéance, tous deux paraissent aimer la vie oisive et facile, et mépriser les « bêtes de somme, » auxquelles en définitive ils sont redevables et de leurs jouissances et de leurs loisirs. Ajoutons que tous deux tiennent l’Italie en grande estime, et ne professent pour leur pays qu’un goût des plus modérés ? Chacun d’eux enfin tombe dans le piège d’un amour malheureux, et, après avoir vu sa maîtresse devenir la femme d’un autre, est ainsi conduit à un adultère qui ne le dédommage ni ne le venge. Voilà, pensera-t-on, bien des ressemblances, et cependant nous ne les avons pas toutes accusées. Mortimer Dyneley est par lui-même aussi pauvre que Hubert Wardour ; mais il a un oncle très riche, qui, spéculant sur l’avenir promis à un neveu aussi distingué, le prend à sa solde et le pensionne largement en attendant qu’il l’introduise à la chambre des communes et fasse de lui le marchepied de son ambition politique. Un ami intime de Mortimer, Grattan Horncastle, arrivé par une sorte de miracle à un siège parlementaire, d’où sa misérable condition de fortune semblait l’exclure, travaille, complice intéressé, dans le même sens que le vieux millionnaire. Ils s’entendront facilement pour combattre chez leur futur auxiliaire toute tendance, toute passion contraire à leurs vues. Mortimer cependant s’est épris d’une jeune et belle personne qu’il voyait dépérir sous l’inintelligent despotisme d’une famille aux idées étroites. Une inspiration généreuse et simplement amicale l’a d’abord entraîné vers miss Chesterton ; la fierté résignée, la sincérité, la loyale confiance qu’il trouve en elle, le captivent tout à fait et le décident à lui offrir sa main. Les parens d’Isabelle, qui avaient rêvé pour leur fille un mariage tout autrement brillant, élèvent alors mille difficultés. La position de Mortimer leur paraît trop dépendante, trop mal garantie, et l’intervention de Roger Dyneley, l’oncle opulent, pourrait seule vaincre leurs scrupules. Or on sait que Roger Dyneley a déjà de bonnes raisons pour tâcher de faire avorter par mille faux-fuyans une combinaison fatale à ses projets. Il en aura de meilleures encore quand il aura vu miss Chesterton, dont la fraîche beauté réveille la convoitise de ce libertin blasé. De concert avec Grattan Horncastle, il éloigne un moment Mortimer, et pendant que ce trop docile neveu poursuit les chances d’une élection chimérique, miss Chesterton, circonvenue par d’adroites manœuvres, trompée sur les dispositions de celui qu’elle aime, persuadée qu’elle se dévoue à sa fortune et qu’elle assure son avenir, consent à devenir la femme du perfide Roger. Celui-ci s’est doublement trompé en supposant qu’il