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pourrait se faire aimer d’Isabelle et que Mortimer se laisserait acheter à beaux deniers comptans un pardon facile. Sans s’inquiéter des conséquences, le neveu répudie les bienfaits de l’oncle, et ne veut plus rien accepter d’un homme qui l’a si indignement joué. La misère, qui lui apparaît tout à coup, ne l’effarouche pas, et, renonçant aux douceurs de son poétique far niente, il demande courageusement au travail littéraire les moyens de vivre sans s’avilir. La nécessité de quitter Londres et même l’Angleterre, où sa nouvelle situation lui crée des difficultés toutes spéciales, le détermine à s’établir sur les côtes de France. Une humble maisonnette des faubourgs de Caen reçoit ce déshérité du sort, et c’est de là qu’il adresse aux recueils périodiques dont il est devenu le collaborateur des communications de plus en plus fréquentes, de mieux en mieux accueillies.

Dans sa vie laborieuse et solitaire, un intérêt nouveau se dessine. Le hasard l’a mis en rapport avec un ancien militaire, le colonel de Saint-Front, père d’une simple et timide enfant qui assiste en silence à leurs longues causeries esthétiques. Ce qui suit est facile à prévoir. Mortimer, secrètement adoré de Marian, ne lui accorde en retour qu’un intérêt tout fraternel. Saint-Front venant à mourir sur ces entrefaites et lui léguant en quelque sorte la tutelle de l’enfant qui va rester sans protecteur, la situation devient plus délicate, et c’est justement alors qu’elle se complique d’un nouvel incident. Ramené pour quelques jours en Angleterre, Mortimer y rencontre, dans des circonstances éminemment périlleuses, la jeune femme qu’il accuse de l’avoir trahi. Les explications qu’ils ont ensemble pendant un orage dans une maison déserte leur révèlent à tous deux l’indigne complot dont ils ont été victimes, et comme pour détruire le reste de scrupules qui retenaient encore Mortimer aux prises avec sa passion d’hier subitement réveillée, Isabelle lui laisse entrevoir ou deviner les odieux traitemens auxquels elle est en butte de la part d’un mari exaspéré de sa froideur, torturé par une jalousie secrète, et sur lequel l’habitude des plus honteux désordres a repris peu à peu tout son empire. Ce n’est pas impunément qu’une situation pareille se révèle à un homme chez qui le besoin de consoler la victime stimule encore l’âpre rancune qu’il garde au bourreau. De cette maison fatale où l’orage les a trop longtemps retenus loin de tout regard indiscret, Mortimer et Isabelle emportent un remords mêlé de joie, le souvenir d’un éclair de félicité coupable. Peut-être ont-ils cru que cette heure d’ivresse les affranchirait définitivement ; mais ce n’est là qu’une illusion passagère, et la destinée inexorable les sépare presque aussitôt. Une lettre anonyme, écrite par la maîtresse de Grattan Horncastle, apprend à mistress Dyneley que Mortimer, adoré de Marian et tout