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précédent comme sans rival ; mais lorsque ces prodigieux chefs-d’œuvre parurent, lorsque, trente ans plus tard, cet art si profondément personnel eut achevé de se manifester dans les tombeaux des Médicis, ne semblait-il pas que le tout, en vertu de son excellence et de son originalité mêmes, découragerait l’esprit d’imitation ? On sait pourtant si les imitations abondèrent, de quels entraînemens fut suivie la révolution opérée par Michel-Ange, et avec quel zèle, tantôt irréfléchi, tantôt pédantesque, l’école tout entière se mit à la poursuite du « grand style. » C’en est fait dès lors, pour l’art florentin, non du talent, non de l’industrie matérielle, mais de l’inspiration sincère, de la bonne foi. On pourra compter encore parmi les sculpteurs nés ou établis à Florence quelques savans, comme Baccio Bandinelli et le Flamand Jean de Bologne, quelques ouvriers adroits comme ce Benvenuto Cellini, qui, entre autres habiletés, a eu celle de se faire passer pour un artiste de premier ordre et de se faufiler, en compagnie des grands maîtres, jusque dans l’admiration confiante de la postérité : on ne trouvera plus, ni pendant ni après le règne de Michel-Ange, un digne successeur, un héritier tout à fait légitime des talens appartenant aux deux périodes antérieures. Peut-être, pour rencontrer ce dernier descendant de la race, faudrait-il arriver jusqu’à notre époque, jusqu’au temps où travaillait un maître dont la Revue rappelait, il y a quelques années, les énergiques efforts et les titres[1].

L’histoire de la sculpture en Toscane, c’est-à-dire l’histoire de ses progrès, de son développement continu depuis la réforme entreprise par Nicolas de Pise jusqu’à la mort de Michel-Ange, ne comprend donc en réalité que trois siècles ; encore Michel-Ange en remplit-il un presque tout entier de son importance personnelle et de ses succès, à partir du moment où il sculpte, à quatorze ans, cette Tête de Faune qui attire sur lui les faveurs de Laurent, jusqu’à celui où, il succombe à Rome (1489-1564), plein de jours, rassasié de gloire, et n’aspirant plus, comme il l’a dit lui-même dans un de ses derniers sonnets, qu’à « atteindre le port commun en vue duquel le cours de la vie, pareil à une mer orageuse, a ballotté sa frêle barque. » Renfermée dans les limites que nous nous sommes tracées, cette histoire n’excède pas une période de deux cent quarante années. Sans doute, en comparaison des faits qui se sont produits ailleurs, la vie de l’art florentin peut paraître courte : la sculpture dans notre pays a, nous le disions en commençant, une tout autre longévité. Le temps et le pays toutefois qu’ont honorés tour à tour Nicolas de Pise et son école, Ghiberti et Donatello, les élèves de celui-ci et les prédécesseurs immédiats de

  1. Voyez dans la livraison du 15 septembre 1855 le sculpteur Lorenzo Bartolini.