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qu’en refusant de chercher une base plus solide pour sa dynastie, il préparait sa ruine à bref délai. Le successeur de Septime, Antoninus Caracalla[1], passionné comme son père pour l’art militaire, n’avait ni sa fermeté de caractère ni son habileté. Assassin de son frère Géta, qui probablement l’eût assassiné lui-même s’il n’avait pris les devans, il joua au soldat pendant six ans et se laissa sottement égorger près d’Édesse par le préfet du prétoire Macrin, qui ne porta pas longtemps la pourpre impériale, car l’armée était demeurée très attachée à la famille de Septime Sévère, et Héliogabale, fils prétendu de Caracalla, tiré du temple du soleil à Émèse, fut proclamé empereur par les soldats, C’était un pauvre enfant de quatorze ans, d’une corruption précoce, d’un bigotisme ridicule, et qui joua, lui, à la procession pendant quatre ans, dans l’espoir de convertir le monde à son dieu syrien. Il fut égorgé à son tour, du consentement tacite du sénat, par les prétoriens, et son cousin, Alexandre Sévère, malgré son extrême jeunesse (il n’avait que treize ans), le remplaça de 222 à 235. C’était un prince d’un bon caractère ; mais les historiens chrétiens l’ont un peu surfait. Instruit, de mœurs douces, économe des deniers publics, il semble avoir manqué de courage militaire, et comme les soldats, habitués aux prodigalités de ses prédécesseurs, n’aimaient guère et craignaient encore moins cet inoffensif jeune homme, ils l’assassinèrent près des frontières germaines et se donnèrent pour maître un fier-à-bras selon leur cœur, le robuste et grossier Maximin.

Voilà, en résumé, la superficie de « l’histoire auguste » pendant le laps de temps au milieu duquel tombe la publication de la vie d’Apollonius par Philostrate : en somme, des princes moins que médiocres, sauf le premier. Et pourtant durant cette période l’empire demeura relativement solide et même entra sans troubles profonds dans une véritable ère nouvelle, car c’est sous Caracalla que s’opéra la grave transformation, depuis si longtemps caressée en rêve par l’autocratie impériale, de tous les hommes libres de l’empire en citoyens romains. Ce fut le dernier coup porté à ce qui restait de la vieille république romaine. Rome fut dès lors conquise par les provinces. L’universalisme religieux que l’on peut constater dans la doctrine d’Apollonius a pour pendant cet universalisme politique dont l’apparition a valu à l’épais Caracalla une importance historique à laquelle il ne songeait guère ; mais aussi, quand on étudie de près cette période, une foule de faits démontrent que l’histoire « masculine » s’arrête à la surface des choses,

  1. On sait qu’il naquit à Lyon et qu’il dut son nom à une tunique gauloise fort semblable à notre capote d’infanterie qu’il avait adoptée et mise à la mode.