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particulier, le patois de la contrée. Que le peuple s’en serve, cela se comprend ; il en est ainsi dans tous les pays. Or ce dialecte se compose ou de mots barbares qui lui sont particuliers, ou de mots de la belle langue italienne estropiés et horriblement défigurés. La population éclairée de villes qui se glorifient ajuste litre, comme Turin et Milan, d’être à la tête du mouvement italien fera bien de suivre l’exemple de la bonne société de Naples, et de laisser le patois aux portefaix ou aux paysans illettrés. Est-ce trop demander aux Milanais que de les engager à bannir de chez eux ce dernier souvenir de la division et de la servitude de l’Italie, pour se servir de cette riche langue nationale, de cette langue presque divine, la plus douce et la plus musicale qu’une société européenne ait parlée ? Que mes bons amis de Milan me pardonnent, mais je ne sais pas cacher mon blâme plus que mes sympathies ; je puis dire du reste que je n’oublierai jamais le temps si agréable que j’ai passé auprès d’eux, surtout aux heures de paix et de joie où Milan savoura les premiers et nobles plaisirs de la liberté.


II

C’est dans le même automne où j’avais vu Milan si plein de charme et de vie que je trouvai à Venise la tristesse et le silence. Venise avait l’aspect d’une ville morte ; elle pleurait amèrement l’espérance évanouie d’une liberté qu’elle avait presque tenue dans ses mains. J’ai entendu raconter une petite histoire qui peint très bien la situation de la capitale de la Vénétie en 1859. Une Vénitienne devenue veuve avait un fils qui vivait avec elle et qu’elle aimait tendrement. Son unique inquiétude était de le voir se compromettre vis-à-vis du gouvernement autrichien, car le jeune homme était un patriote chaleureux. La pauvre femme avait si souvent vu s’évanouir les espérances de Venise, qu’elle ne croyait plus guère à la délivrance de son pays. Quand son fils lui parlait de quelques chances favorables, elle secouait tristement la tête, et se contentait de prier en silence pour sa chère et malheureuse Venise. Les grands événemens du printemps et de l’été de 1859 réveillèrent l’ardeur du jeune homme. On imagine avec quel feu il racontait à sa mère les moindres nouvelles arrivées jusqu’à lui dans cette époque d’agitations. La vieille femme pourtant n’y croyait pas encore ; tout cela lui paraissait trop beau pour être vrai. Enfin un jour le fils, entrant a la hâte dans la chambre de sa mère : « Venez, mère, lui dit-il, venez vite ; du toit d’une maison, je vous ferai voir la flotte de nos libérateurs, le pavillon de la France ! » Ils