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UN MAITRE FRANÇAIS INCONNU.


Une belle page vient d’être restituée à l’histoire de l’ancien art français. On croyait généralement que nos peintres du moyen âge étaient surtout des miniaturistes, des enlumineurs de manuscrits, et qu’après le déclin de cette époque nous n’avions fait que suivre de loin le mouvement de la renaissance sans le préparer en aucune manière. Or, une soixantaine d’années avant l’apparition de Raphaël, il y avait à Tours une école de miniaturistes d’où s’élançait hardiment un peintre original. De récens travaux sont venus fixer nettement dans l’histoire de la peinture française la place de ce maître trop peu connu. Disciple de ces enlumineurs qui avaient formé pendant plusieurs siècles une tradition si riche et que Dante avait signalés avec honneur dans la Divine Comédie, cet enfant de l’école de Tours a été le premier initiateur d’un art plus élevé. Il a encore le charme, la candeur, la piété du moyen âge ; il a déjà le relief et la variété d’expression qui seront les caractères de la renaissance. À côté de l’idéal convenu et monotone apparaît chez lui l’étude de la nature ; l’art se dégage, la vie rayonne, et l’Italie, qui va bientôt inaugurer avec tant de vigueur et d’éclat cette adolescence de l’esprit humain, en salue les symptômes chez le peintre de la Touraine. « Ici, — dit Florio Francesco, un Florentin du XVe siècle qui examinait en artiste les trésors de Notre-Dame de Tours, — ici je compare les images de l’ancien temps avec les modernes, et je suis frappé de la supériorité de Jehan Foucquet sur les peintres des siècles antérieurs. Oui, l’homme dont je parle, Jehan Foucquet, peintre de Tours, a surpassé par l’habileté de son art non pas ses contemporains seulement, mais tous les anciens. Que l’antiquité vante Polygnote, qu’on glorifie Apelle ; pour moi, je serais content de mon partage si j’étais capable d’atteindre par la parole à la hauteur des œuvres qu’a exécutées son pinceau. Et n’allez pas croire que ce soit là une fiction poétique ; vous pouvez prendre un avant-goût du génie de ce maître en notre église de la Minerve, pour peu que vous examiniez avec attention le portrait du pape Eugène, peint sur toile. L’auteur était bien jeune encore, et pourtant avec quelle vérité, avec quelle puissance d’illusion il a rendu son personnage ! Croyez-moi, je ne dis rien de trop, ce Foucquet a véritablement le pouvoir de donner la vie à ses figures par la magie de son pinceau, et de renouveler presque le miracle de Prométhée. »

Comment se fait-il qu’un artiste glorifié en de pareils termes par un Italien de la renaissance soit encore à peu près inconnu chez nous ? C’est en 1477 que Florio Francesco écrivait ces lignes. L’école de Cologne, l’école de Bruges, jetaient alors un vif éclat. Ce n’est pas une victoire médiocre que d’obtenir le premier rang au milieu de cette activité féconde, indice d’une rénovation prochaine, surtout quand le juge est un compatriote de Giotto, de Cimabue, un contemporain du Pérugin. Puisque ce portrait d’Eugène IV, si vrai, si vivant, avait été exécuté à Rome pour l’église de la Minerve,