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entra dans la dynastie belge. Peu d’années après, son neveu, le prince Albert, épousait sous ses auspices la reine Victoria d’Angleterre. De nombreuses alliances placèrent la maison de Cobourg aux approches des premières couronnes. Ce n’étaient là que les signes extérieurs de l’influence du roi Léopold, devenu le chef de sa maison. Ce souverain, par les qualités de son intelligence et de son caractère, a pu remplir en même temps deux grands rôles, un rôle extérieur européen et le rôle intérieur d’un roi constitutionnel parfait. Il était admirablement placé et il avait qualité pour intervenir entre les grandes cours par le conseil, les bons offices, la médiation. Il pouvait faire écouter ses avis avec une égale confiance par les chefs de gouvernement, en France, en Angleterre, en Autriche, en Russie, et on a pu dire de lui sans exagération qu’il était le juge de paix de l’Europe. On a été surtout frappé de l’ascendant amiable que le roi Léopold a ainsi exercé sur les grandes affaires du monde ; mais la cause profonde de cet ascendant, quoiqu’on y prît moins garde, n’était autre que la sagesse habile et heureuse avec laquelle il sut présider à l’organisation et au développement des institutions nationales et libérales de la Belgique. S’il fut écouté, s’il fut consulté, s’il fut respecté, c’est moins parce qu’il était le gendre, l’oncle ou le cousin de tant de souverains et de princes que parce qu’il s’était montré un excellent roi des Belges, et qu’il semblait avoir réalisé en lui le type du meilleur monarque constitutionnel qu’un peuple moderne puisse avoir. La mâle dignité de sa mort l’a fait enfin connaître tout entier : elle a montré que cet esprit sage et pacifique était appuyé sur une âme robuste. Le long spectacle de cette ferme nature aux prises avec la mort a été imposant ; au dernier moment, la scène sévère s’est tout à coup éclairée d’un noble sentiment humain quand on a vu l’illustre mourant, entouré de sa famille éplorée, saisir et passer à la duchesse de Brabant la main de M. Van Praet, le plus ancien, le plus précieux de ses amis, un homme en qui un si exquis bon sens s’unit à une si délicate modestie, et qui, comme le roi semble avoir voulu le rappeler par cette suprême étreinte, a tant de droits à l’estime reconnaissante de la Belgique et de ses princes.

L’effet moral de cette mort a été de rappeler les conditions qui, à l’époque où nous sommes, peuvent rendre encore utile et efficace la forme monarchique constitutionnelle, et de manifester les élémens de vitalité que possède la Belgique dans le système actuel de l’Europe.

À l’heure présente de l’histoire de la civilisation européenne, la monarchie a perdu sa vieille force de superstition ; elle ne peut alléguer d’autre raison d’être que l’utilité déterminée par le temps et les circonstances et subordonnée au consentement des peuples. La monarchie ne peut plus être envisagée que comme une haute magistrature d’une utilité relative. Encore à ce point de vue convient-il d’ajouter que ce sont les nécessités de la politique extérieure, bien plus que les bonnes conditions du gouvernement intérieur, qui expliquent et justifient de nos jours l’existence de la