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gant prologue, a eu beau demander grâce pour l’audace des deux écrivains ; personne ne s’y est trompé, personne n’a pensé que ce fût un coup de génie de transporter les folles danses du bal de l’Opéra sur la scène de la Comédie-Française. Sans doute, même de cette peinture équivoque risquée à propos et encadrée avec art, un écrivain de talent eût pu faire jaillir une idée neuve qui vînt justifier son œuvre et l’absoudre. En voyant parmi les masques du bal ce monsieur en habit noir qui, à la veille de se marier, noie sa raison dans l’ivresse, insulte ses compagnons de débauche, s’avilit lui-même avec une gaîté convulsive, produit une sorte d’émeute charivarique dont les ricanements grossiers exaltent encore sa folie, on pouvait se dire : Ne serait-ce pas là le sujet d’une étude psychologique où apparaîtront enfin les hardiesses qu’on nous promet ? Cet être blasé, dégradé, n’aurait-il pas encore une étincelle qui va jaillir au choc des événemens de la nuit ? Il y a un dernier reste d’élégance dans sa voix éraillée. C’est un artiste peut-être, un grand enfant, un cœur où tout n’est pas mort, — et je me rappelais les beaux vers de l’auteur des Iambes flétrissant ces saturnales, il y a trente ans, dans le recueil même que MM. de Goncourt ne craignent pas de citer à ce triste endroit de leur pièce. La Revue a eu le malheur d’être un peu trop compétente dans l’appréciation de deux écrivains également et fraternellement médiocres ; on lui répond aujourd’hui par la bouche d’un masque aviné. En vérité ce n’est pas nous qui avons à nous plaindre, et nous pouvons juger l’œuvre nouvelle sans être soupçonnés du moindre sentiment de rancune. Quelles sont donc les hardiesses dramatiques dont ce premier acte est le prélude ? Une banale histoire d’adultère compliquée d’une rivalité non moins banale entre la mère et la fille. Pour relever ces vieilleries par quelque haut goût de corruption, les auteurs ont fait du personnage principal un jouvenceau imberbe séduisant une femme dont il pourrait être le fils. Nulle étude des passions, nulle peinture des luttes de l’âme ; la mère n’a horreur de son ignominie qu’au moment où elle apprend que sa fille aime chastement, silencieusement, le jeune et ridicule étourneau. Cette scène de remords aurait pu produire un certain effet, si elle fût arrivée à point ; mais toutes ces choses, la passion aveugle du jeune homme, la lâcheté de la mère, la douleur de la fille, la découverte de l’adultère, la vengeance inepte, le coup de pistolet du père tuant sa fille par méprise, tout cela est heurté, saccadé ; n’y cherchez pas la plus légère notion des devoirs de l’art et des lois de la scène. La conclusion de ces belles aventures, c’est cette vérité incontestable : qu’il est dangereux pour une honnête femme de se risquer au bal de l’Opéra. Telles sont les hardiesses de Henriette Maréchal ! Le style est à la hauteur des idées. On ne sait vraiment s’il faut applaudir ou plaindre les comédiens qui ont prêté leur diction habile à ces étranges dialogues, et qui luttent inutilement chaque soir contre les huées et les sifflets,


F. DE LAGENEVAIS.


V. DE MARS.