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fleur de la vie, ne brille qu’un instant, et ne laisse après elle que le regret de notre impuissance à retenir cette frêle apparition ; mais élevons-nous aux grands objets de la nature. La lumière, qu’adorait Goethe, la lumière, cette gloire sensible de Dieu, combien d’obstacles l’arrêtent et la brisent ! Elle ne remplit que la moitié de la vie humaine, elle n’embellit qu’une faible partie du monde, elle n’éclaire la terre que par ses surfaces. Quel vaste et profond empire elle laisse à la nuit, aux ténèbres ! — Quant à l’harmonie générale des êtres, si elle se maintient, c’est à travers des désordres toujours renaissans, à travers quelle lutte et quelle discorde des élémens ! Partout où se manifeste dans le monde la puissance créatrice, une ombre se lève à côté, limite cette puissance, et dans une certaine mesure l’anéantit. C’est la destruction, c’est la mort, c’est le mal. De quelque nom qu’on l’appelle, c’est toujours au fond la négation. La négation, c’est bien là l’essence du mal, puisque de l’aveu de tous les métaphysiciens, qu’ils s’appellent saint Augustin ou Plotin, Platon ou Spinoza, Malebranche ou Hegel, le mal n’a pas de réalité positive, n’est pas un être métaphysique : c’est uniquement l’absence, la limite du bien, de même que l’ombre n’a pas de réalité positive, mais qu’elle est l’absence, la limite de la lumière, toujours la négation.

Cette doctrine générale de la métaphysique revêt dans le panthéisme un caractère particulier. Dans ce système, l’évolution divine que l’on appelle abusivement la création ne s’opère qu’à la condition que l’un devienne plusieurs, que l’essence absolue se divise, et en se divisant se détruise partiellement elle-même. En effet qu’est-ce que la distinction phénoménale des êtres dans cette doctrine, sinon une destruction momentanée et partielle de l’être absolu, se révélant dans des formes particulières qui ne diffèrent les unes des autres que parce qu’elles se limitent réciproquement ? L’infini ne peut donc se manifester qu’en se limitant. Voilà un dogme universel dans toutes les écoles panthéistes, soit que comme chez les alexandrins on considère le monde comme une émanation de la troisième hypostase, et par conséquent déjà comme un affaiblissement du premier principe, un obscurcissement de la divine splendeur, soit qu’avec Spinoza on considère la nature-naturée comme l’ensemble des modes produits par les attributs infinis, lesquels sont eux-mêmes une déduction incompréhensible de la substance. Au milieu de toutes ces hypothèses spéculatives, un principe commun subsiste : la nécessité pour l’absolu de se révéler par le relatif, pour l’unité de se révéler par la pluralité, pour l’infini de se limiter afin de se manifester sous la forme du monde. Voilà le principe dont Goethe s’est emparé poétiquement, et qu’il énonce par la