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million de francs). Ces derniers, mis en demeure de s’acquitter, protestèrent hautement, invoquant, pour échapper à leurs obligations, le prétexte que la dernière conduite de 3 millions de piastres (15 millions de francs) destinée à leur port avait été, par mesure arbitraire, indûment dirigée par Mexico et Vera-Cruz, — que ce changement de voie pour l’Europe les avait privés de leurs remboursemens annuels, et par suite du numéraire même nécessaire aux échanges de chaque jour.

Le prétexte était spécieux. Les intérêts des commerçans avaient souffert, il est vrai, mais ils eussent été bien autrement compromis si une conduite aussi importante, descendue directement de San-Luis par une route infestée de juaristes, était tombée au pouvoir de l’ennemi. Il fut en outre prouvé que chaque mois la place de Tampico trouvait encore assez de numéraire pour expédier en Europe de 60 à 100,000 piastres à des correspondans chargés de les vendre à prime[1]. La mauvaise volonté des négocians était évidente : ils durent s’exécuter et renoncer peut-être à l’espérance de voir, comme cela s’était déjà vu, s’éteindre leurs dettes dans le désordre des pronunciamientos !

Par malheur, en même temps que des résistances passionnées, soulevées par le commerce indigène et étranger, paralysaient notre action, l’appui moral donné à la cause de l’intervention par les maisons françaises établies au Mexique était nul, car quiconque a traversé en observateur impartial dans ces dernières années les terres chaudes comme les hauts plateaux, depuis le golfe jusqu’au Pacifique, reste en droit de se demander où sont les nationaux qui ont appelé nos armes au secours de leurs personnes ou de leurs fortunes menacées. Partout sur notre passage nous avons été tristement surpris d’entendre nos compatriotes s’écrier à la vue de l’uniforme français : « Que venez-vous faire ici ? Vous nous ruinez ! et après l’évacuation il ne nous restera plus qu’à plier bagage, car les représailles seront cruelles. » Triste déclaration, si on ne devait trouver quelque autre part le bénéfice de tant de sang et de tant d’or dépensés !

Le préfet politique de Tampico, dont la première mission était de ramener le calme, la concorde et la moralité dans la province dont l’administration lui avait été confiée, devait naturellement unir

  1. Les piastres mexicaines, dont le titre est supérieur, donnent lieu à un agio très actif sur les marchés de Londres et de Paris, qui les envoient à leur tour avec bénéfice en Chine et au Japon. C’est là la provenance et la destination de ces millions de piastres dont les journaux enregistrent pompeusement l’arrivage mensuel en Europe par la compagnie transatlantique ou par les steamers anglais, sans que d’ordinaire les gouvernemens aient rien à y prétendre.