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entre le serf attaché à la glèbe et l’ouvrier de nos champs et de nos villes ? Quel rapport entre la corvée et le travail libre ? La première, la plus grande conquête de la révolution de 1789 a été l’affranchissement du travail, et c’est la rémunération directe de l’effort individuel qui est demeuré le signe de cet affranchissement. D’où viennent, au sein de notre société réformée depuis moins d’un siècle, les accroissemens de production, de consommation, de richesse, dont nous observons les phases si rapides ? D’où viennent ces énergiques et constantes poussées de bas en haut qui font que les fils des anciens serfs aspirent légitimement, eux aussi, au bien-être, à la fortune, au commandement ? Cette immense transformation sociale est le produit du travail rémunéré, qui a succédé au travail imposé, et s’il est prouvé que le salaire figure pour la plus forte part dans la rémunération générale, comment pourrait-on y voir un instrument de servage ? On veut évidemment donner à la question qui agite les populations ouvrières l’appareil d’une réforme politique. D’un problème qui est et restera un problème économique, on s’applique à faire un problème social ; mais l’on évoque vainement le moyen âge, et la féodalité, et les seigneurs, et les serfs. Tout cela est mort, et il ne reste plus de cette poussière qu’un sujet de déclamation.

Le second article du nouveau symbole réformiste a pour objet la suppression des intermédiaires, qui, placés entre la production et la consommation, rendent celle-ci plus coûteuse. On veut que par l’association coopérative les populations ouvrières soient affranchies du tribut qu’elles paient au marchand de détail. Il s’agit ici d’une révolution dans le commerce d’approvisionnement. La question est purement économique ; or le raisonnement et l’expérience démontrent que, sauf les abus et les inconvéniens qui s’attachent à toute combinaison humaine, les intermédiaires remplissent une fonction indispensable dans le mouvement des transactions. Plus une société progresse, plus les intermédiaires utiles se multiplient, de même que les plus puissantes machines obéissent à l’impulsion que leur transmettent les rouages en apparence les plus compliqués. Ce n’est là que l’application du grand principe de la division du travail. La production et la vente comprennent un si grand nombre d’opérations distinctes pour s’adapter aux besoins si divers et si multiples de la consommation, qu’il est tout à la fois plus économique et plus prompt de répartir le travail entre différentes catégories d’agens. A chacun sa fonction, dont il s’acquitte d’autant mieux qu’il s’y consacre avec une aptitude plus spéciale et plus exclusive. Ce n’est pas à dire qu’il n’y ait pas d’intermédiaires superflus : il faut admettre encore que tel intermédiaire, utile pour