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yeux plus que douteuse. L’éruption de Santorin donne raison aux poètes contre les savans. Les gaz qui se dégageaient de la mer autour d’Aphroessa étaient combustibles; ils s’allumaient près du rivage au contact de la lave incandescente, et l’incendie une fois commencé se propageait rapidement à la surface de la mer à une distance de plusieurs mètres. Les bulles s’allumaient et brûlaient à mesure qu’elles arrivaient au contact de l’air. Au moment de notre excursion, il y avait une brise assez forte du nord-ouest dont les rafales éteignaient souvent la flamme; mais aussitôt que le vent se calmait un peu, le feu reprenait sur-le-champ et se propageait avec rapidité en se communiquant d’une bulle à l’autre. Nous nous en sommes approchés, et nous y avons allumé des fragmens de papier. Au bout de quelque temps, l’obscurité de la nuit étant devenue plus profonde, les flammes brillèrent d’un éclat plus vif encore. On les apercevait non-seulement autour du rivage, mais encore sur toute l’étendue d’Aphroessa et particulièrement au sommet, où elles s’élevaient à une hauteur de plusieurs mètres. Les sels de soude entraînés leur donnaient une coloration jaune caractéristique, et nos visages, éclairés par cette lumière, avaient une teinte livide. Pendant que notre canot circulait rapidement au milieu des nuages de vapeurs et à la clarté de ces lueurs vacillantes, nous devions ressembler à des fantômes naviguant sur un lac des enfers.

On voyait aussi des flammes au sommet et sur les flancs de l’île George. Le long des pentes, elles étaient bleuâtres et mobiles comme un feu follet, et couraient d’un point à un autre s’allumant ou s’éteignant selon que le vent soufflait plus ou moins fort. Au sommet de l’île George, on les apercevait moins facilement que sur Aphroessa, parce que ce sommet était entaillé de trous profonds au milieu des blocs de lave, et que c’était là surtout que les flammes se produisaient, de telle sorte qu’on ne voyait ordinairement que des fumées très fortement éclairées par la réverbération des laves incandescentes placées au-dessous. Cependant, quand le vent chassait ces fumées dans une direction convenable, chaque fois qu’une poussée volcanique nouvelle se faisait sentir, on entendait un violent bruit de soufflet, et en même temps on voyait un jet de flammes haut de plusieurs mètres s’élever en tourbillonnant au-dessus de la masse noire du monticule.

L’ancien sol de Nea Kameni a été à la même époque le siège de phénomènes qu’il importe de signaler. Dans l’intervalle compris entre George et Aphroessa, il existait au commencement du mois de mars une longue traînée de fumerolles sulfureuses, qui, partant du pied du cône formé en 1707, s’étendait jusqu’à un petit port situé sur la rive occidentale de l’île et nommé le port Saint-George. Ces fumerolles exhalaient des torrens de vapeur d’eau et d’acide sulfhydrique. Les plus chaudes d’entre elles ne tardèrent pas à produire de l’acide sulfureux. Toutes étaient environnées d’un dépôt de soufre. Le 12 mars, aucune de ces fumerolles n’offrait une température supérieure à celle de l’ébullition du mercure (360 degrés). Quelques jours plus tard, on y pouvait fondre le 4nc, c’est-à-dire que la