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température avait atteint 600 degrés environ. Il s’en exhalait une forte odeur d’acide chlorhydrique, et l’on y entendait fréquemment des bruits souterrains qui faisaient trembler la terre, et qui ressemblaient à ceux que produiraient des chocs violens frappant le sol de bas en haut à une petite profondeur. Je présumai dès lors qu’il allait prochainement se passer là quelque fait important. Un peu plus au sud, précisément dans la direction qui joint le sommet de l’île George à celui d’Aphroessa, se trouvaient en outre quatre grandes fissures longues de plus de 200 mètres, profondes de 8 à 10 mètres et souvent assez étroites pour qu’on pût les franchir d’un bond. Ces fentes, parallèles les unes aux autres et très rapprochées, étaient réunies par quelques coupures transversales. Elles avaient probablement été produites dans les premiers jours de l’éruption. Les déchiremens qui leur avaient donné naissance avaient été assez violens pour rompre des bancs de lave compacte de plusieurs mètres d’épaisseur qui composaient le sol. En beaucoup d’endroits, les parois verticales étaient si nettement taillées qu’on les aurait crues coupées par un instrument tranchant. Au fond de ces canaux étroits circulaient des courans d’eau salée qui coulaient de l’île George vers Aphroessa, et dont la température était comprise entre 70 et 80 degrés. Il s’y faisait un abondant dégagement de gaz combustible, dont les bulles s’allumaient et brûlaient avec une jolie flamme bleue aussitôt qu’on en approchait un corps enflammé.

A la fin du mois de mars, en même temps que les fumerolles sulfureuses acquéraient une activité plus grande, les quatre grandes crevasses avaient subi de notables changemens. Elles étaient devenues plus larges et surtout plus profondes. Quelques-unes atteignaient jusqu’à 7 ou 8 mètres de largeur et jusqu’à 30 mètres de profondeur. Le fond étant toujours resté sensiblement au niveau de la mer, il faut nécessairement en conclure que le sol s’y était soulevé de plusieurs mètres dans un intervalle de quelques jours. En même temps que ces canaux s’étaient agrandis dans tous les sens, ils se trouvaient en partie encombrés par la chute des blocs tombés de leurs parois ; les ruisseaux d’eau chaude circulant librement au fond de leur cavité avaient disparu, et étaient remplacés par une suite de petites flaques d’eau distribuées irrégulièrement au milieu des morceaux de lave éboulés. La température de l’eau s’était élevée de quelques degrés, et il s’y opérait des dégagemens d’un gaz combustible, de plus en plus riche en acide sulfhydrique à mesure que la température était devenue plus haute.

Ces fentes et la ligne de fumerolles voisine qui leur était parallèle représentaient la fissure de l’éruption dans l’intervalle compris entre l’île George et Aphroessa. La déchirure du sol en ce point était incomplète, mais les mouvemens qui s’y manifestaient, ainsi que l’accroissement continu de la température, montraient qu’elle s’agrandissait chaque jour, et l’on pouvait prévoir dès lors que dans un temps peu éloigné elle s’ouvrirait entièrement, et donnerait issue à des courans de lave, comme elle le faisait déjà dans ses points les plus béans.