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L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

vangile éternel ? — Dans quelle relation étaient tous ces ouvrages avec les livres mêmes de l’abbé Joachim ? — À quelle date ont-ils été composés ?

Les embarras que présentent des questions en apparence aussi simples ne doivent pas nous surprendre. Il n’est pas de questions historiques plus difficiles à résoudre que celles où l’on cherche à retrouver dans le passé des catégories créées par l’esprit moderne. Les scrupules d’une bibliographie exacte n’existaient guère au moyen âge. L’individualité rigoureuse du livre est une idée récente. La typographie elle-même, qui devait opérer à cet égard un changement si profond, ne modifia que lentement les habitudes du public.

La composition et la forme de « l’Evangile éternel » nous sont clairement révélées par le rapport des cardinaux d’Anagni (la deuxième des pièces énumérées ci-dessus). Il y est dit en propres termes[1] que « l’Évangile éternel » était divisé en trois parties et formé par la réunion des trois ouvrages authentiques de l’abbé Joachim, savoir la « Concorde de l’Ancien et du Nouveau Testament, » formant le premier livre ; « l’Apocalypse nouvelle[2] » formant le second ; le « Psaltérion décacorde, » formant le troisième. Les parcelles que nous avons des notes de Gérard supposent la même chose. Gérard, en effet, a pour habitude de désigner Joachim par ces mots : ille qui fuit minister hujus operis. Une curieuse note marginale du manuscrit de la bibliothèque Mazarine, qui a appartenu au collège de Navarre, est conçue dans le même sens[3]. Cette note attribue formellement à Joachim un livre intitulé Evangelium œternum, distinct de l’Introductorium in Evangelium œternum, et elle indique sa place dans la bibliothèque du collège de Navarre. Il y avait donc encore au XIVe siècle et au XVe des manuscrits où les trois écrits de Joachim étaient réunis et portaient le titre commun d’Evangelium œternum. De semblables manuscrits devaient être un fruit du mouvement de 1254, puisque nous avons vu que Joachim lui-même ne donna jamais ce titre ni à aucun de ses écrits ni à la collection de

  1. D’Argentré, p. 163. Après hœc verba, il faut suppléer : « In primo libro Evangelii æterni, videlicet in secundo secundæ Concordiæ. Et tria prædicta probantur similiter expresse XXI. capitulo, B, ubi distinguitur triplex littera. Ibi : « Attendent vero, etc… » et similiter ante finem ultimi capituli, ubi dicitur : « Illud attendendum, etc. »
  2. Voir ci-dessus, p. 98-99. Ou remarquera qu’il ne s’agit pas ici du commentaire complet sur l’Apocalypse, mais du livre préliminaire que Joachim mit en tête de son exposition sur l’Apocalypse.
  3. Voici cette note, correspondant à Item quod per virum du second document : « Nota ista usque ad finem de erroribus contentis in libro abbatis Joachim, quem vocavit de Evangelio æterno, qui liber est in pulpitro affixo parieti. » Cette note est d’une main du XVe siècle.