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cependant, pour me l’expliquer, il dut entrer dans des considérations qui m’ont paru instructives et intéressantes. C’est pourquoi j’ai écrit le récit qu’il lit un mois plus tard à M. et à Mme *** en ma présence. J’ignore comment j’obtins de lui cette marque extraordinaire de confiance, de pouvoir être au nombre de ses auditeurs intimes. Peut-être lui étals-je devenu particulièrement sympathique par mon désir d’avoir son opinion sans y opposer une opinion personnelle préconçue ; peut-être éprouvait-il le besoin de raconter son âme et de distribuer dans quelques mains fidèles les grains de sagesse et de charité qu’il avait sauvés du désastre de sa vie.

Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la valeur de cette révélation, la voici telle que j’ai pu la reconstruire en soudant ensemble les heures consacrées à diverses reprises à ce long récit. C’est moins un roman qu’un exposé de situations analysées avec patience et retracées avec scrupule. Ce n’est ni poétique ni intéressant au point de vue littéraire. Cela ne s’adresse donc qu’au sens moral et philosophique du lecteur. Je lui demande pardon de n’avoir pas à lui servir aujourd’hui un mets plus savant et plus savoureux. Le narrateur dont le but n’est pas de montrer son talent, mais de communiquer sa pensée, est comme le botaniste qui rapporte de sa promenade, non les plantes rares qu’il eût été heureux de trouver, mais les brins d’herbes que la saison rigoureuse lui a permis de recueillir. Ces pauvres herbes ne charment ni les yeux, ni l’odorat, ni le goût, et pourtant celui qui aime la nature y trouve encore matière à étudier, et il les apprécie.

La forme du récit de M. Sylvestre paraîtra peut-être monotone et trop dénuée d’ornemens ; elle eut au moins pour ses auditeurs le mérite de la bonne foi et de la simplicité, et j’avoue que par momens elle me parut très saisissante et très belle. Je pensai, en l’écoutant, à cette admirable définition de Renan, que la parole est « ce vêtement simple de la pensée, tirant toute son élégance de sa parfaite proportion avec l’idée à exprimer, » et qu’en fait d’art « le grand principe est que tout doit servir à l’ornement, mais que tout ce qui est mis exprès pour l’ornement est mauvais. »

Je pense que M. Sylvestre était rempli de cette vérité, car il sut captiver notre attention et nous tenir attentifs et recueillis avec son histoire sans péripéties et sa parole sans effets. Je ne suis malheureusement pas le sténographe de cette parole. Je l’ai reconstruite comme j’ai pu, et, soigneux seulement de suivre les pensées amenées par les actes, je lui ai fait infailliblement perdre sa couleur particulière et son mérite réel.