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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

leine et à rassembler ses pensées. — Ma cousine, dit-il pourtant au bout d’un long silence, l’automne est arrivée, et notre soleil s’en va.

— Vraiment ! s’écria Violante avec une franche gaîté, nous ferons là une belle perte, mon cousin. Votre soleil, comme vous dites, se lève le matin dans le brouillard et se couche le soir dans la pluie. C’est ce que je disais ce matin à Martel.

— Notre soleil brille quelquefois, interrompit l’abbé, mécontent de cette réplique, qui dérangeait tout ce qu’il voulait dire. Souvenez-vous du jour de votre mariage. Jamais on n’avait vu le ciel si radieux. Tout le monde comprenait bien que c’était Dieu qui là-haut avait voulu vous sourire.

— J’espère qu’on ne se trompait point, dit Violante.

— Sûrement non. Si Dieu ne regardait pas avec complaisance celles de ses créatures qui vous ressemblent, il faudrait désespérer qu’il eût jamais personne en sa grâce.

— Mon cher abbé, répliqua Violante, je suis heureuse de voir que vous me trouvez à votre gré, et que vous avez de l’amitié pour moi.

— Comment n’en aurais-je pas ? dit-il. Que voulez-vous que je fasse pour vous le prouver ?

— Mais, dit la jeune femme, quelque chose qui ne serait point trop malaisé. Vous pourriez… non je n’ose… Enfin, monsieur l’abbé, si ce n’était par respect pour votre robe, je vous prierais bien d’aller me chercher ma broderie.

— Où est-elle ?

— Dans le salon, sur la grande console, à gauche… Il disparut. Violante se leva, s’avança vivement sur le perron, interrogea du regard les fenêtres de l’aile méridionale du château : elles ne s’étaient point ouvertes. Martel écrivait donc toujours. Violante reprit sa place.

L’abbé revint, il apportait la broderie. — Ma cousine, dit-il à demi-voix, j’aimerais à vous parler une fois librement. Me le permettez-vous ?

— Oui, fit-elle, avec un signe de tête, et en même temps elle tirait distraitement son aiguille.

— Il s’est opéré en vous, reprit l’abbé, un changement que je ne comprends pas. Je ne sais ce que vous avez fait de votre mine sévère d’autrefois.

— Bon, répliqua Violante en riant, la regrettez-vous ?… Non. Ce n’est pas cela. Vous êtes seulement curieux d’apprendre d’où elle me venait quand je l’avais. Ah ! monsieur l’abbé, d’une cause bien naturelle : je m’ennuyais depuis quatre ans.

— Ce n’était point un air d’ennui que vous aviez lorsque vous êtes venue à Croix-de-Vie pour la première fois. C’était…